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comme tous les peuples polygames, n’admettent pas volontiers des étrangers en présence de leurs femmes. Un peu avant notre arrivée à Ogden, le conducteur du sleeping car me prend à part et me demande s’il est bien vrai que je ferai paraître un récit de ma visite chez les mormons dans un recueil français, ou si je me suis servi tout simplement de ce prétexte pour accompagner le chapelain. Je lui réponds que, sans m’engager à rien, il serait fort possible que je publiasse quelques notes sur ce que j’aurais vu. Il me prie alors de ne pas manquer de lui envoyer mon récit : il ne Salt pas le français, mais il se le fera traduire, et, pour plus de sécurité, il me donne sa carte. Il se nomme James Inglish et demeure à Omah, état de Nébraska.


OGDEN ET SALT LAKE CITY.

14-15 novembre.

Nous arrivons à Ogden à la nuit close et nous descendons, le chapelain, le mormon et moi, dans une complète obscurité, sur le trottoir en bois de la gare. « Je pense qu’on sera venu à ma rencontre, » nous dit notre ami, et à peine a-t-il prononcé ces mots, qu’il tombe dans les bras de quatre grands jeunes gens qui l’entourent et lui serrent les mains avec force exclamations de joie. Un peu en arrière se tient un vieillard auquel le jeune mormon va serrer la main à son tour avec une certaine déférence. Nous supposons, le chapelain et moi, que c’est son père, et nous nous tenons à l’écart. Mais, au bout de quelques minutes, il revient vers nous : « Mon père n’est pas ici, nous dit-il ; la veille du jour où est arrivée la dépêche annonçant mon retour, il est parti pour amener ses deux femmes à mon frère qui est missionnaire dans l’état d’Arizona ; Mais ce n’est pas une raison pour que vous ne veniez pas chez nous. Ma mère sera très heureuse de vous recevoir, et mon oncle que voilà viendra passer la soirée avec nous. » Nous nous consultons un moment. En effet, le cas devient embarrassant. Admettant que la mère de notre ami nous fasse, sur sa recommandation, bon visage, quel accueil recevrons-nous des quatre autres femmes du maître de la maison absent ? Cependant, embarqués dans l’aventure, nous voulons aller jusqu’au bout, et nous lui déclarons que nous sommes prêts à le suivre. Nous montons alors avec lui dans un petit boggy conduit par un de ses frères et traîné par deux bons chevaux qui nous font traverser rapidement la petite ville d’Ogden. Par momens, une vive clarté se projette sur la route obscure. Ce sont des magasins éclairés par la lumière électrique. Nous sortons de la ville et notre voiture finit par s’arrêter à la porte d’un petit jardin précédant une maison de modeste