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couvre pas le bruit que fait un corps en tombant sur « le plancher du pavillon. « Marcelle ! « Malheureuse ! elle était là ! » Il enfonce la porte et revient hagard, tenant dans ses bras Marcelle déjà pâle, « de la mort qu’elle a bue. » Il lui pardonne dans un baiser où il reçoit son dernier souffle.

Ainsi finit le drame, par l’élimination des personnages mauvais on que la contagion du mal a gagnés, — de Chevrial et de Marcelle, — mais sans qu’un moment la bonté des bons ait tourné, comme on dit, au type. C’est que les caractères des personnages sont aussi naturels et rendus avec autant de finesse, autant de sincérité qu’ils pourraient l’être dans le roman. Henri de Targy, cet honnête homme, hésite un moment, au premier acte, avant de ruiner sa mère et sa femme par un trait de rigoureuse probité, — comme au dernier, Mme de Targy, cette croyante, se révolte d’abord à l’idée de sacrifier le bonheur de son fils pour faire son devoir de chrétienne. Thérèse Chevrial, au deuxième acte, après avoir repoussé cette succession qui déshonore la mémoire de sa mère, se soumet en silence aux décisions de son mari, chef légal de la communauté. Ce Chevrial, par mille traits de caractère et de mœurs, est un des financiers les plus vivans qu’ait produits la scène contemporaine ; et, s’il est le plus récent, il porte bien sa date. Enfin, il n’est pas jusqu’aux personnages accessoires et comme dessinés en silhouette, à qui la justesse de coup d’œil et de coup de crayon de l’auteur ne donne une physionomie spéciale. C’est le docteur Chesnel, médecin de l’Opéra ; c’est Rosa Guérin, la danseuse ; c’est Tirandel, l’éclopé de la vie parisienne, — qui n’a plus que des « velléités. » Tous et toutes, ils ont leur certificat de vie psychologique et physiologique.

S’ils sont romanesques, en un certain sens du mot, c’est-à-dire dignes, à l’occasion, de figurer dans un roman qui se pourrait écrire après et d’après la pièce, — puisqu’il est de mode de croire qu’une psychologie un peu subtile n’appartient guère qu’au roman, — il est inutile, je pense, de prouver maintenant qu’ils sont dramatiques. Pas un d’eux, — je parle au moins des principaux, — qui n’aille de crise en crise, pas un chez qui les passions contraires fassent trêve plus que ne l’exige la conduite même de l’action, c’est-à-dire ailleurs qu’en ses points de repère. Au premier actes, crise de Mme de Targy : doit-elle révéler son secret à son fils ? « Crise d’Henri : doit-il restituer la fortune ? Crise de Thérèse au second : doit-elle l’accepter ? Crise de Marcelle ensuite : nous avons assez insisté sur celle-là. Crise de la mère, et crise du fils à la fin : doivent-ils pardonner ? C’est là proprement le drame, — dont le caractère, au gré de nos classiques, sinon de Pixérécourt et de M. Scribe, est moral et non matériel. Quant au style du dialogue, par des citations faites à l’aventure de la mémoire, dans le cours de cette rapide analyse, j’espère avoir fait juger qu’il est