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quatre fleuves principaux de l’Afrique, le Nil dans sa vallée inférieure est aux mains des Anglais ; ils s’appliquent à enlever le Zambèse aux Portugais, et ils exercent une influence toujours croissante dans le bassin du Bas-Niger. Reste le Congo, dont on ne saurait exagérer l’importance. Comme l’a dit M. de Brazza dans un de ses rapports, par sa situation centrale et la disposition en éventail de ses grands affluens, le Congo est une artère gigantesque, faite pour drainer tous les produits de contrées fort étendues, depuis le Soudan jusqu’aux bassins du Nil, des grands lacs et du Zambèse, ou plutôt il forme comme une vaste mer intérieure, avec une étendue de côtes d’au moins 20,000 kilomètres et une population évaluée à quatre-vingt millions d’hommes. Sur ce plateau équatorial le sol est partout fertile et d’une richesse qui peut s’accroître indéfiniment. Dès aujourd’hui on y trouve des trésors à exploiter. On en peut juger par ce que l’on voit sur les rives de l’Ogooué et de ses affluens, où presque partout la culture du café, du cacao, de la canne à sucre, du coton, le commerce de l’huile de palme, de la résine copal, des bois de teinturerie, de l’ébène sont sacrifiés au trafic de l’ivoire et du caoutchouc, qui rapporte jusqu’au 1,000 pour 100.

Les populations fort denses qui sont établies sur ce riche plateau offrent toutes les variétés de la race noire, toutes les nuances de ses qualités et de ses vices, de ses aptitudes et de ses impuissances. Quelques-unes de ces peuplades sont très laborieuses, cultivent bien le sol, font prospérer leurs champs de maïs, de manioc, de tabac et d’arachides. Quelques-unes connaissent certaines industries, exploitent leurs mines de cuivre et de plomb ou fabriquent de fines étoiles. D’autres s’adonnent de préférence à la navigation, se distinguent par la beauté de leurs pirogues, par l’incomparable adresse de leurs pagayeurs. Il en est qui ont des mœurs douces et le caractère hospitalier ; il en est aussi qui se sont fait une réputation peut-être exagérée de cannibalisme et dont les chefs mangent leur ennemi mort, d’abord parce qu’ils trouvent sa chair appétissante, ensuite dans le dessein de faire passer son courage dans leur sang. Quant aux femmes, elles ne se piquent pas en général d’une grande sévérité de principes. M. de Brazza a remarqué que leur moralité variait en raison inverse des dimensions du pagne en fil de palmier ou d’ananas qui compose à peu près tout leur costume, « À mesure qu’on avance vers l’intérieur, le pagne diminue par en bas et par en haut, et lorsqu’il est réduit à un morceau grand comme la main, la légèreté des mœurs n’est pas encore arrivée à sa plus simple expression ; les pagnes, comme les voiles des femmes turques, sont d’autant plus transparens qu’on occupe dans la hiérarchie sociale un rang plus élevé. » Par une convention bizarre qui n’est qu’une convention, un grand chef est considéré comme le mari des femmes des autres chefs. Mais elles ne sont point assujetties à toutes