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Ses caresses. » Ma foi, jamais, je vous le jure,
L’amour ne m’a donné jouissance plus pure
Que le baiser naïf et désintéressé
De cette pauvre enfant, honteuse du passé,
Et me remerciant d’avoir su voir en elle
La femme malheureuse et non la criminelle ! ..

Nous étions arrivés, et j’avais cru devoir,
En la quittant, parler de courage et d’espoir :
« Elle était jeune encor, le travail purifie,
Elle pouvait par lui régénérer sa vie… »
Je lui serrai la main, puis, dans le jour mouillé
Qui filtrait, terne et froid, du fond d’un ciel brouillé,
Ayant vu lentement son fin profil de vierge
S’enfoncer sous le porche enfumé d’une auberge,
Je partis, mieux portant et meilleur, réchauffant
Mon cœur au souvenir de ce baiser d’enfant,
Le plus délicieux, — et le dernier, — madame,
Qui soit tombé pour moi les lèvres d’une femme.


ANDRE THEURIET.