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prévisions à long terme, qui seraient si importantes pour l’agriculture, et déterminer plusieurs mois d’avance le caractère dominant des saisons. La possibilité d’une pareille entreprise résulte de la lenteur des oscillations par lesquelles se déplace le lit des fleuves aériens qui sont les grandes routes des météores. Il suffirait d’en connaître les périodes ou d’en découvrir les signes précurseurs, qui sans aucun doute existent. C’est en se fondant sur des considérations de cette nature que M. de Tastes a réussi à prévoir la sécheresse du printemps de 1870, et l’hiver rigoureux que l’on sait.

Il ne semble pas que l’état moyen du globe ait sensiblement changé depuis les temps historiques ; les cycles se suivent, ramenant les mêmes vicissitudes, et le passé contient le secret de l’avenir. Nous voyons pourtant se produire dans les climats des modifications locales ; l’action de l’homme peut se faire sentir à la longue et dans un sens qui n’est pas toujours heureux. On sait quelle influence les déboisemens exercent sur le régime des pluies et des inondations. Faut-il attribuer à des causes du même ordre la fréquence de plus en plus en plus inquiétante des tornades et des trombes sur le territoires des États-Unis, qui fait que, dans le Far-West, on choisit, pour bâtir les fermes, des sites abrités du côté du sud et de l’ouest, et qu’à défaut d’un abri naturel on construit des souterrains à l’épreuve des tourmentes ? On a consulté les chroniques pour savoir si ces phénomènes étaient moins fréquens autrefois ; mais la rareté des récits peut s’expliquer, dans ces contrées, par la rareté des témoins. Il existe d’ailleurs, dans les vieilles forêts de la Pensylvanie, des bandes d’arbres d’une venue plus récente et qui semblent avoir comblé des rues ouvertes par le passage de trombes.

Sauf les cas bien rares de changemens dus à des causes locales, tout porte à croire que les années, les saisons, les jours, en se succédant, ne font que parcourir une série plus ou moins longue, mais limitée, d’aspects caractéristiques, d’aspects bénins ou mauvais, dont il suffirait de fixer les images pour les reconnaître plus tard de fort loin. Pour M. Robert Scott, en fait de signaux, l’idéal serait un recueil de cartes typiques du temps que l’on distribuerait aux marins : on se contenterait ensuite de hisser chaque fois le numéro de la carte à laquelle ils auraient à se reporter. De même, les années de sécheresse ou de pluie, les étés chauds et les étés tempérés, les hivers doux et les hivers rigoureux, se dessinent probablement, longtemps à l’avance, dans les méandres des isobares ; il nous faudra l’expérience de quelques dizaines d’années pour en établir le pronostic à coup sûr. Et quand nous serons parvenus à ce résultat, quels qu’aient été les efforts dépensés, nous reconnaîtrons sans doute que nous ne l’aurons pas payé trop cher.


R. Radau.