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Bibles chrétiennes, l’une est en hébreu et que, même pour le Nouveau-Testament, il n’y a pas de complète exégèse sans l’hébreu.

L’étude de l’hébreu n’était pas obligatoire au séminaire ; elle était même suivie par un très petit nombre d’élèves. En 1843-1844, M. Garnier fit encore, dans sa chambre, le cours supérieur, celui où l’on expliquait les textes difficiles, à deux ou trois élèves. M. Le Hir, depuis quelques années, faisait le cours de grammaire. Je m’inscrivis tout d’abord. La philologie exacte de M. Le Hir m’enchanta. Il se montra pour moi plein d’attentions ; il était Breton comme moi ; nos caractères avaient beaucoup de ressemblance ; au bout de quelques semaines, je fus son élève presque unique. Son exposition de la grammaire hébraïque, avec comparaison des autres idiomes sémitiques, était admirable. J’avais à ce moment une force d’assimilation extraordinaire. Je suçai tout ce que je lui entendais dire. Ses livres étaient à ma disposition, et il avait une bibliothèque très complète. Les jours de promenade à Issy, il m’amenait sur les hauteurs de la Solitude, et là il m’apprenait le syriaque. Nous expliquions ensemble le Nouveau-Testament syriaque de Gutbier. M. Le Hir fixa ma vie ; j’étais philologue d’instinct. Je trouvai en lui l’homme le plus capable de développer cette aptitude. Tout ce que je suis comme savant, je le suis par M. Le Hir. Il me semble même parfois que tout ce que je n’ai pas appris de lui, je ne l’ai jamais bien su. Ainsi il n’était pas très fort en arabe, et c’est pour cela que je suis toujours resté médiocre arabisant.

Une circonstance due à la bonté de ces messieurs vint me confirmer dans ma vocation de philologue et, à l’insu de mes excellens maîtres, entre-bâiller pour moi une porte que je n’osais ouvrir moi-même. En 1844, M. Garnier, vaincu par la vieillesse, dut cesser de faire le cours supérieur d’hébreu. M. Le Hir fit ce cours et, sachant combien je m’étais bien assimilé sa doctrine, il voulut que je fusse chargé du cours de grammaire. Ce fut M. Carbon qui, avec sa bienveillance ordinaire, m’annonça en souriant cette bonne nouvelle, et m’apprit que la compagnie me donnait pour honoraires une somme de 300 francs. Cela me parut colossal ; je dis à M. Carbon que je n’avais pas besoin d’une somme aussi énorme ; je le remerciai. M. Carbon m’imposa d’accepter 150 francs pour acheter des livres.

Une bien autre faveur fut de me permettre d’aller suivre au Collège de France, deux fois par semaine, le cours de M. Étienne Quatremère. M. Quatremère préparait peu son cours ; pour l’exégèse biblique, il était resté volontairement en dehors du mouvement scientifique. Il ressemblait bien plus à M. Garnier qu’à M. Le Hir. Janséniste à la façon de Silvestre de Sacy, il partageait le demi-rationalisme de Hug, de Jahn, — réduisant autant que possible la part du surnaturel, en particulier dans les cas de ce qu’il appelait « les