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assuré et qu’on a pourvu aux dépenses administratives ? Est-ce là ce qu’on peut appeler l’équilibre du budget ? On ne devrait pas oublier que, dans un pays comme le nôtre, sujet aux révolutions et exposé à la guerre, la prospérité est intermittente et qu’elle éprouve quelquefois des temps d’arrêt cruels ; nous l’avons bien vu en 1848, où, après un règne qui avait été pourtant très ménager des deniers publics, le taux de la rente tomba tout à coup à des cours désastreux. Nous ne pûmes pas rembourser les bons du trésor, ni les fonds des caisses d’épargne ; il fallut les consolider et le crédit public se trouva ébranlé jusque dans ses racines. Pendant la guerre de 1870 encore, notre crédit a été, non-seulement ébranlé, il nous a fait défaut complètement, et on a dû aller chercher au dehors, en Angleterre, de très maigres ressources à un taux d’intérêt exorbitant. Si à ce moment nous n’avions pas eu pour nous venir en aide la Banque de France, notre désastre aurait été aussi grand financièrement qu’il a été militairement ; un an après la guerre elle-même, lorsqu’il a fallu payer notre rançon aux Prussiens, on a pu s’apercevoir toujours que notre crédit n’était plus ce qu’il avait été aux jours prospères. Sans doute, il était encore bon, relativement, grâce à la confiance qu’a inspirée immédiatement le gouvernement réparateur à la tête duquel se trouvait M. Thiers, Cependant notre 3 pour 100 était tombé du taux de 80 à celui de 54 francs, et nous empruntâmes 5 milliards à 6 pour 100. Notre crédit s’est beaucoup relevé depuis et il est aujourd’hui au-dessus de 4 pour 100. Mais il ne faudrait pas abuser de cette situation ; s’il arrivait des événemens graves, le danger serait autrement sérieux avec une dette de 24 milliards qu’avec une autre de 7 milliards, comme en 1848, et même de 13 à 14 milliards, comme en 1870. Nous sommes, il est vrai, plus riches qu’à ces deux époques, mais la richesse n’a pas quadruplé depuis 1848 et doublé depuis 1870, ainsi que l’a fait la dette. Et puis, il ne faut pas oublier que la plus grosse part de cette richesse repose sur le crédit. Or, plus le crédit est étendu et plus il court de risques. C’est comme une pyramide qu’on élève trop haut pour sa base, la moindre secousse peut l’ébranler, et Dieu sait quelles secousses nous éprouvons tous les quinze ou vingt ans ; il faut des assises bien solides pour y résister. Enfin, à ce jeu de la guerre et de la révolution, trop fréquemment renouvelé, les nations s’épuisent et finissent, non-seulement par présenter moins de résistance, mais par ne plus pouvoir même réagir. Tant va la cruche à l’eau, dit le proverbe, qu’à la fin elle se casse. Nous n’avons pas l’air de nous douter des dangers qui peuvent nous menacer, et nous marchons toutes voiles dehors, comme si nous étions toujours assurés d’avoir du beau temps et de ne jamais rencontrer de récifs.