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malgré la souscription brillante qui l’a accueilli, n’est pas encore classé ; il est toujours pour partie à l’état flottant dans les mains des spéculateurs, et ce qui est inquiétant surtout, c’est qu’en engageant ainsi les ressources de l’avenir nous sommes tout près d’arriver à une dette flottante de trois milliards. Nous avons fait flèche de tout bois, nous avons pris les fonds des caisses d’épargne, ceux des communes, les cautionnemens, le produit d’annuités créées pour des besoins extraordinaires, et tout est absorbé, ou le sera bientôt. Que faire dans une pareille situation ? Il semble que le plus sage serait de liquider le passé et de s’arrêter pour les dépenses nouvelles qui ne sont pas de la première nécessité. Mais cette politique de prudence ne peut convenir à la république. M. Rouvier l’a déclaré dans la discussion générale du budget. S’adressant à la commission qui pourtant s’était montrée assez large pour les dépenses extraordinaires : « Vous avez fait, dit-il, un budget juste milieu qui peut convenir à une monarchie censitaire, la république ne peut pas s’en arranger. » Il faut, en effet, que la république dépense sans compter, elle prendra l’argent où elle pourra, c’est l’affaire de son ministre des finances de le lui procurer.

On doit certainement louer beaucoup M. Léon Say du courage qu’il a mis à nous révéler la situation actuelle. Malheureusement les combinaisons qu’il propose, comme l’a reconnu M. Ribot, le rapporteur de la commission, ne sont que des expédiens ; elles ne suppriment pas les difficultés, elles ne font que les ajourner à deux ou trois ans. Un nouvel emprunt à court terme était le danger qui nous menaçait et il pouvait en résulter un grave inconvénient pour le crédit public. Qu’a fait M. Léon Say ? Il laisse subsister toutes les dépenses, mais, pendant un an ou deux, il les couvre par d’autres ressources que celles à provenir d’un emprunt direct. Il prend d’abord, jusqu’à concurrence de 270 millions, des crédits non employés des exercices antérieurs ; il se fait rembourser d’avance par les compagnies de chemins de fer 253 millions qui étaient à réaliser plus tard ; il majore enfin les recettes du budget de 1883 en adoptant pour base non plus celles qui ont été réalisées dans l’exercice qui a précédé celui où le nouveau budget est établi, mais celles de l’exercice même qui est en cours. Cette manière d’agir n’est peut-être pas mauvaise : elle rend le budget plus exact. Quand on pouvait avoir en prévision des augmentations de recettes considérables basées sur la plus-value de deux années, on ne se faisait pas scrupule d’ouvrir toute espèce de crédits supplémentaires avec la pensée, qu’ils seraient aisément couverts par les plus-values, et de la sorte, on se laissait aller à des dépenses désordonnées. Avec un budget en prévision plus exact, on ne peut plus se faire les mêmes illusions, et si on veut avoir des crédits supplémentaires,