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plus avancées que ceux de la montagne ; ceux du Bas-Rhin sont plus grands, plus pacifiques que ceux du Haut-Rhin, dont le langage devient plus dur, les mœurs plus rudes et le caractère plus énergique à mesure qu’on se rapproche de la Suisse ; ils diffèrent beaucoup les uns et les autres des Allemands du duché de Bade, qui sont blonds avec des yeux bleus. Plus remuans, plus actifs que ces derniers, les Alsaciens descendent des Francs qui se vantaient déjà de mieux aimer la liberté que les autres tribus germaniques. Dans les villes comme Strasbourg et Mulhouse, le mélange de sang étranger a sensiblement altéré le type primitif ; mais ce qui fait le caractère d’un peuple, ce n’est pas seulement la race, c’est aussi le milieu ; aussi ce caractère est-il à peu près partout le même. Doué d’un grand esprit d’indépendance, ne se considérant comme l’inférieur de personne, l’Alsacien a l’amour de la justice et de l’égalité ; il respecte la loi en tant qu’elle consacre le droit, et l’autorité en tant qu’elle ne couvre pas l’arbitraire. Froid et réservé, il ne parle que quand il a quelque chose à dire, et n’agit que quand il a quelque chose à faire. Un peu terre à terre, il ne se laisse pas emporter par son imagination, et son bon sens légèrement narquois fait rapidement justice aussi bien des rodomontades méridionales que des quintessences philosophiques d’outre-Rhin. Les ouvriers eux-mêmes n’ont pas l’esprit révolutionnaire, ils ne lâchent pas facilement la proie pour l’ombre et ne se soucient pas de jouer le rôle de marionnettes entre les mains invisibles qui tirent les ficelles.

C’est à cet esprit d’indépendance et d’examen qu’il faut attribuer en partie le succès de la réforme en Alsace ; mais ce succès n’a pas été comme dans d’autres provinces une cause de persécutions. Les catholiques et les protestons vivent côte à côte dans les meilleurs termes, mais par les mêmes intérêts, souvent par des liens de famille, et partagent parfois le même temple pour rendre au Dieu de lumière, chacun à sa manière, les hommages qui lui sont dus. Moins intime est l’union avec les juifs, bien que ceux-ci aussi soient mêlés à la vie commune, où, sauf d’honorables exceptions, ils jouent le rôle d’actifs et souvent peu scrupuleux intermédiaires. À l’affût de toutes les affaires, au courant de tous les besoins, ils s’interposent dans toutes les transactions en y prélevant leur profit. Ils avancent des fonds au paysan qui veut s’arrondir, et quand, après deux ou trois renouvellemens onéreux, celui-ci est dans l’impossibilité de les rembourser, ils le font exproprier, rachètent la terre à vil prix et la revendent ensuite le plus cher qu’ils peuvent. C’est à cette manière de comprendre le crédit agricole que bien des fortunes doivent leur naissance. La nature de leur commerce, qui spécule sur les malheurs privés, les fait tenir en suspicion, et les expose, dans les