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des complices ; il n’a trouvé que des hommes fidèles à leur pensée, défendant comme ils l’ont pu les traditions libérales, faisant simplement leur devoir, et de ce passé nous pouvons parler librement. Après tout, ce coup d’état de 1851, il a été la suite d’un autre coup d’état, le 24 février 1848, qui l’a préparé, qui seul l’a rendu possible en interrompant le développement régulier et libéral de la France. Il a été une révolution comme bien d’autres révolutions. Il a fait des victimes, cela n’est pas douteux, et si, après tant d’années, il y avait encore à réparer des malheurs privés, à venir en aide à des situations intéressantes, le gouvernement était le mieux placé pour remplir avec discrétion, avec une sollicitude éclairée, cette mission délicate. C’était son rôle, personne n’aurait rien dit. C’est ce qui s’est fait sans bruit, sans ostentation, en plus d’une circonstance ; mais, lorsque plus de trente années sont écoulées, lorsqu’une généraration presque entière a été dévorée par les événemens, lorsque la France, éprouvée par d’incomparables désastres, porte encore le poids d’effroyables rançons, il est un peu extraordinaire, on en conviendra, d’ouvrir une enquête universelle sans garantie, de vérifier d’innombrables titres difficiles à constater, pour arriver à inscrire au livre de la dette près de 10 millions au profit de plus de vingt mille pensionnés. Les malheurs, qui en politique, ne sont épargnés à aucun parti, sont faits sans doute pour exciter les sympathies. Le dévoûment à une cause est toujours respectable ; mais ce dévoûment, que nous sachions, ne se paie pas avec de l’argent. Les hommes qui courent les hasards de la vie publique savent à quoi ils s’exposent ; ils triomphent avec leurs opinions, ils sont vaincus avec elles ; ils subissent les conséquences de la défaite sans se créer un droit à cette sorte d’indemnité en masse par voie de réparation nationale. Ce serait une nouveauté par trop bizarre, et d’un autre côté, il n’est point apparemment admissible qu’un pays où les révolutions se sont succédé et ne sont peut-être pas finies, reste sous le coup d’un arriéré toujours en suspens, d’une dette indéfinie exigible selon le hasard des événemens, payable à la révolution nouvelle qui surviendra.

A une époque déjà lointaine et exceptionnelle dans l’histoire, après une révolution unique au monde, unique par sa grandeur et par ses conséquences, la restauration avait eu l’idée de l’indemnité des émigrés ; mais il y avait ici une grande question sociale et politique à résoudre, la question des propriétés nationales. La mesure proposée par la restauration avait pour objet et a eu pour résultat d’en finir avec un problème qui pouvait peser longtemps sur la société nouvelle, de garantir la sécurité des acquéreurs de biens nationaux en même temps que de désintéresser par un dédommagement les anciens propriétaires dépossédés par la révolution. C’était un acte de souveraine et prévoyante transaction, — et même dans ces conditions les républicains n’ont point certes