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La seule chose certaine jusqu’ici, c’est un malaise à peu près universellement ressenti et l’impossibilité reconnue d’aller longtemps ainsi. Au-delà, toutes ces harangues dans lesquelles on se décerne parfois de ridicules flatteries comme pour s’étourdir, tous ces discours de circonstance, tous ces manifestes de vacances parlementaires ne sont le plus souvent que des mots. On a beau pérorer, on ne réussit ni à trouver ni à dire comment se réalisera cette conciliation dans laquelle on voit le remède infaillible, comment se relèvera ce gouvernement dont on sent le besoin, et on ne le trouve pas, parce qu’on ferme les yeux sur la vraie question, parce qu’on se garde bien d’aller jusqu’à la racine du mal. On ne veut pas s’avouer que si les affaires intérieures et extérieures de la France sont arrivées à ce point où tout semble en déclin, c’est la faute d’une domination de parti qui n’a su être que l’exploitation vulgaire et intéressée d’une situation ; c’est la conséquence d’une politique qui n’a certes rien inventé, qui se contente de vivre, abusant du pouvoir comme d’une conquête éphémère, reprenant à son usage les moyens les plus décriés de tous les régimes, même des plus mauvais, ou se payant de déclamations, de prétendues idées réformatrices, sous lesquelles se déguise une véritable impuissance.

Le fait est que, depuis quelques années, une expérience aussi instructive que singulière se poursuit devant le pays, au détriment du pays et, on peut bien ajouter, au détriment de la république elle-même. Voilà un parti qui, depuis qu’il existe, a passé son temps à déclamer et souvent à s’insurger contre tous les régimes. Il n’a cessé de poursuivre de ses incriminations passionnées et de ses injures tous les régimes qui se sont succédé ; il les a accusés tour à tour, — justement ou injustement, peu importe, — d’abaisser la France, de violer toutes les garanties du droit et de la liberté, de tout subordonner à des calculs de règne et de coterie, d’organiser la curée des emplois et des faveurs, de se faire une clientèle intéressée et servile aux dépens du budget, par les satisfactions prodiguées aux convoitises personnelles ou locales. Le jour est venu où ce parti, à son tour, est arrivé au gouvernement, où il a eu le pouvoir sans partage, — et, du premier coup, il a dépassé tout ce qu’il a reproché à d’autres. Il n’a eu rien de plus pressé que de s’approprier tout ce qu’il jugeait si sévèrement du haut de son incorruptibilité. Les républicains, qui sont fort contens d’eux-mêmes depuis qu’ils sont les maîtres et qui ont toutes les illusions comme toutes les tentations du règne, ne s’en aperçoivent peut-être pas : le régime qu’ils imitent le plus dans leurs procédés, auquel ils empruntent le plus pour l’usage de la république telle qu’ils la font, c’est le dernier régime napoléonien. Que n’ont-ils pas dit de ce second empire, de ses iniquités, de ses violations du droit, de ses procédés discrétionnaires, de ses coups d’état ? C’est cependant ni plus ni moins ce qu’on a fait depuis dans toutes ces campagnes