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ses produits pour satisfaire les nouveaux consommateurs. Le nombre des apprentis devra donc nécessairement croître, mais il n’est pas probable que les ouvriers, s’ils peuvent l’éviter, cèdent sur ce point.

Ce sont les mille difficultés, les mille complications de la vie sociale qui favorisent la diffusion des doctrines communistes ou collectivistes lorsqu’elles ne les font pas naître. Quand on souffre, on aspire vers un remède, et ce sentiment se manifeste, que la souffrance soit réelle ou imaginaire, qu’elle soit le résultat de nos fautes ou le produit de forces majeures. Ce sont généralement les maux les plus sérieux que nous supportons le plus stoïquement, peut-être parce que nous sentons trop vivement qu’il n’y a rien à faire ; mais nous sommes d’autant moins résignés que l’opinion, l’amour-propre, la passion y sont plus intéressés. Il s’ensuit qu’on peut créer des souffrances de toutes pièces en propageant certaines idées, en excitant des appétits, en exploitant les mécontentemens. Le socialisme n’a pas été engendré par la haine et l’envie, comme on pourrait le croire en voyant semer ces mauvais sentimens ; c’était une pensée réformatrice qui inspirait les utopies, et si ces œuvres d’imagination n’avaient pas affiché plus tard la prétention d’être prises au sérieux, si ensuite tant d’hommes n’avaient pas fait du socialisme un instrument d’ambition, il n’y aurait pas lieu d’en parler ici. À nos yeux, il n’a d’autre effet que de faire sentir plus profondément les inconvéniens inséparables de cette excellente chose, la densité de la population, car il n’y a pas de médaille sans revers. Pour vivre dans une société où les professions sont encombrées, il faut travailler avec plus d’acharnement et dépenser avec plus de prudence. On le sait, en effet, le travail et l’économie sont les deux grands remèdes sociaux ; réunis, ils forment presque une panacée, mais ils ont un défaut capital, ils exigent un effort de notre part. Eh bien ! nombre de personnes ne peuvent pas se résoudre à faire cet effort ; elles voudraient bien être débarrassées de leurs maux, mais elles demandent à en être guéries par un remède qu’elles n’aient pas besoin d’appliquer elles-mêmes.

Nous venons de faire allusion à une cause que la physique nomme force d’inertie et que le langage ordinaire désigne plutôt par le mot de paresse ou par un de ses synonymes, mais il en est une autre, dont on n’a pas suffisamment conscience, c’est, nous ne dirons pas l’ignorance, mais une sorte d’indolence d’esprit qui ne se donne pas la peine de rapprocher les causes et les effets. Toutes les superstitions, — et leur nombre est légion, — découlent de cette indolence. Beaucoup de maux politiques, économiques, sociaux et autres disparaîtront ou seront sensiblement atténués quand on aura pris l’habitude de se demander sérieusement pour chaque prétendu remède,