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que nous verrons passer sous nos yeux quelques-unes des faces du problème social. L’accroissement de la population devient sensible en premier lieu dans l’économie rurale. L’influence est longtemps bienfaisante : la culture s’améliore sous la pression des besoins croissans ; elle s’étend, elle devient de plus en plus intensive. La propriété se divise, et maint cultivateur vend le champ devenu trop petit pour le nourrir et se consacre à une autre industrie. Si les mœurs ou les lois s’opposent à la division du sol, les enfans puînés émigrent. C’est ce que font aussi les ouvriers ruraux dont la concurrence réduit trop les salaires. Une partie de cet excédent de la population agricole ira peut-être peupler des colonies, mais le gros des émigrans cherchera fortune dans les villes. Les premiers qui perdirent de vue le clocher du village natal partirent avec regret, parce qu’il n’y avait plus de place pour eux dans la maison paternelle : la plupart des suivans allèrent s’établir dans les villes, entraînés par l’exemple et attirés par les agrémens de la vie qu’ils y attendaient. Nous ne nous arrêterons pas à faire la part des illusions qui provoquèrent ces migrations, il est pourtant vrai que le travail urbain est généralement moins dur que le travail rural et en même temps que les salaires y sont plus élevés. Ces départs peuvent être incommodes pour les cultivateurs exploitant des domaines étendus, mais ils les forcent à se familiariser avec les procédés qui économisent le travail, ce qui est un progrès ; ils sont en tous cas utiles aux ouvriers qui restent à la campagne, car leurs salaires doivent augmenter. Dans les villes, les nouveau-venus seront longtemps reçus à bras ouverts ; ils favoriseront le développement de l’industrie et contribueront tout d’abord à leur prospérité.

Les villes se rempliront à leur tour, la vie y deviendra moins facile et l’excès de population s’y fera sentir de différentes façons. Les salaires baisseront, ou du moins ne s’élèveront pas proportionnellement à l’augmentation du prix des subsistances. Le nombre des prolétaires s’accroîtra et avec eux la misère. Les institutions seront affectées plus qu’on ne pense par l’accroissement de la population. La suppression des corporations d’arts et métiers a eu certainement plusieurs causes, mais nous sommes convaincu que la multiplication du nombre des ouvriers en était une. De nos jours, les trades unions, les syndicats et d’autres groupes professionnels semblables imposent volontiers aux patrons des restrictions relativement au nombre des apprentis qu’ils peuvent prendre. Supposons que toutes les industries se syndiquent, que partout ces restrictions s’établissent, que deviendra le surcroît de la population ? Il faut bien que chaque industrie élargisse ses cadres pour recevoir sa part de ce surcroît, il faut d’ailleurs que le producteur multiplie