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diverses professions, mais, s’il est désirable qu’un grand pays se suffise pour la production de l’aliment principal, tout ce qui aggravera la rupture de l’équilibre entre la population et les subsistances sera fâcheux.

On pensera sans doute qu’aussi longtemps qu’il sera possible de combler le déficit par l’importation, il n’y aura pas lieu de s’inquiéter ; nous sommes complètement de cet avis. Il n’y a pas péril en la demeure : la crise est latente, et notre génération ne la verra pas éclater. La seule chose nécessaire aujourd’hui est de voir clair et juste en cette matière, ou plutôt de ne pas fermer volontairement les yeux devant une vérité aussi évidente, et d’en tenir compte, le cas échéant. Le législateur n’a guère d’influence sur le mouvement de la population, et c’est très heureux, car s’il en avait, de même qu’on multiplie à l’envi les armées, il y aurait entre les pays émulation pour le nombre des enfans et chacun voudrait dépasser son voisin sans trop s’inquiéter des moyens de nourrir les nouveau-venus . Ceux qui avancent avec une sage lenteur vont quelquefois plus loin que ceux qui courent ; en tout cas, il serait facile de démontrer que l’accroissement si rapide des populations anglaise et allemande n’ajoute rien à la prospérité, ni à la puissance de ces pays.

Tant que la limite où commence l’excès n’a pas été atteinte, l’accroissement de la population reste bienfaisant : le travail, devenu abondant, fertilise le sol, les produits augmentent, les prix s’élèvent devant la concurrence des consommateurs. Comme conséquence de cette prospérité, dont le cultivateur est le premier à profiler, la hausse des salaires s’accuse et la propriété a sa part du progrès. À un moment donné, le point culminant, ou à peu près, est atteint, et alors, quand les conjonctures deviennent défavorables, quand la récolte manque et que la concurrence étrangère s’ajoute à cette calamité, l’agriculture souffre. L’agriculture, cependant, n’est qu’une abstraction ; en fait, le monde agricole comprend des situations très diverses qui peuvent ne pas être également affectées par les événemens. Il y a la grande et la petite propriété, il y a les fermiers et les ouvriers. Ces derniers sont, de nos jours, relativement les plus favorisés : les solaires se sont élevés, la nourriture s’est améliorée et la sécurité, c’est-à-dire la chance d’avoir du travail, n’a pas diminué, loin de là. Selon le cas, le fermier peut espérer obtenir des concessions du propriétaire, car il est sage d’en faire à propos, et tout homme intelligent s’y résigne ; mais alors c’est la propriété qui souffre, surtout la grande, et elle souffre sans compensation, sans allègement. la petite, celle que cultive le propriétaire lui-même, est moins atteinte, car elle a peu ou point de salaires à payer et elle