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être le point de départ d’un nouveau mouvement. Sans doute, les événemens de l’histoire générale l’influencèrent de différentes manières, tantôt en le retardant, tantôt en l’accélérant, mais toujours aux époques normales la population s’accrut ; peu à peu elle remplit les campagnes, puis se mit à envahir les villes, où les professions se spécialisèrent de plus en plus. Plusieurs circonstances devaient d’ailleurs contribuer à rendre ce mouvement d’émigration plus rapide.

Parmi ces circonstances, laissons de côté celles qui auraient pu être évitées, comme la guerre, l’oppression et les innombrables abus que l’on sait ; bornons-nous à rappeler celles qui sont dans la nature des choses. Il est tout d’abord évident que la population, en augmentant, disposait de moins en moins de terres à cultiver ; on opérait des défrichemens, mais cette opération si coûteuse n’offre que des ressources limitées, et quant aux propriétés cultivées, on ne les divise pas à volonté. On pouvait encore songer à améliorer la culture, à la rendre plus intense ; mais cette ressource aussi est bornée ; elle est d’ailleurs amoindrie encore par la force d’inertie qu’oppose à tout progrès la routine, et par le manque de capitaux. D’un autre côté, les villes ont toujours exercé un grand attrait sur certains esprits ; le travail y paraît plus doux que le rude labeur des champs, et on vante aux laboureurs les mille agrémens de la vie urbaine, les salaires élevés, les plaisirs, les chances de faire fortune. L’attraction devient plus forte à mesure que l’industrie se développe et va chercher ses ouvriers jusque dans les villages. Que dis-je ? les usines et manufactures elles-mêmes débordent dans les campagnes, le capital va trouver le travail, il arrache l’homme de la charrue et de la pioche pour l’attacher à ses machines et à ses fourneaux. Pendant un temps, cette concurrence agit sur l’agriculture comme un stimulant en augmentant et en rapprochant ses débouchés. Ses produits se vendent plus cher ; le cultivateur, aidé d’ailleurs par la science, devient plus entreprenant, il obtient des rendemens croissans, il défriche tant qu’il peut ; mais un moment vient où le flot montant de la population industrielle le déborde, l’équilibre est rompu.

On demandera ce qu’il faut entendre par équilibre. Dans un état tout à fait isolé, la réponse serait facile : l’équilibre consisterait alors dans la production, par l’agriculture, des matières alimentaires nécessaires au pays, tandis que les populations non agricoles en produiraient la valeur sous une autre forme. Mais, comme aucun état n’est isolé maintenant, on peut encore considérer comme un équilibre satisfaisant celui qui permet à l’industrie d’acheter à l’étranger, avec le surplus de ses produits, de quoi suppléer au