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des obstacles matériels, comme l’est l’agriculture, pratiquement l’industrie aura souvent l’infini devant elle. La demande aura beau se développer, se décupler, se centupler, l’usine ou la manufacture s’arrangera pour la satisfaire. Et plus la demande sera forte et plus les prix pourront baisser ; l’agriculture, en pareil cas, verrait hausser les siens, car elle ne peut pas multiplier ses produits à volontés

Au point de vue économique, l’industrie a encore un autre avantage ; son produit est plus élevé, il lui est plus facile d’accumuler des épargnes, de former de nouveaux capitaux. Les fonds de l’industrie sont bien autrement élastiques que les champs de l’agriculture. L’ouvrier obtient un salaire plus élevé dans l’industrie pour deux raisons : d’une part, l’ouvrier a besoin d’une certaine habileté qu’on n’acquiert que par l’apprentissage, il lui faut souvent du goût, un tour artistique, qualités relativement rares, qu’on prise et qu’on paie ; d’autre part, les bénéfices du manufacturier étant plus élevés, il est en état de mieux rétribuer ses collaborateurs. Qu’on veuille bien noter ceci, nous l’avons souvent constaté : le travail qui rapporte beaucoup au patron rapportera beaucoup à l’ouvrier ; dans l’ensemble, le bénéfice et le salaire se tiennent plus étroitement qu’on ne le croit.

Nous devons mentionner encore un autre et très grand avantage de l’industrie manufacturière ; la plupart de ses produits sont d’un facile transport, supportent de longs voyages et renferment souvent une valeur relativement forte dans un espace ou sous un poids restreint. La valeur est ici le résultat du travail accumulé, condensé : telle marchandise a passé par plusieurs mains ; c’était d’abord du lin teillé, c’était ensuite du fil ; d’autres mains en ont fait des tissus, d’autres encore ont blanchi, apprêté, peut-être teint les toiles ou les ont brodées et en ont confectionné du linge. Ces sortes de marchandises sont les meilleures pour alimenter le commerce, elles vont toute l’année presque sans intermittence, permettent les combinaisons les plus compliquées et fournissent le moyen de payer les produits d’un pays avec le travail de l’autre. Cette possibilité de se procurer les produits d’autres contrées, sans avoir à donner en échange les produits de son propre sol, est d’une importance de premier ordre, d’une importance telle que, si elle cessait tout à coup, plusieurs pays seraient en proie à toutes les calamités qu’une disette peut produire ; l’Angleterre serait exposée à voir périr en une année le tiers de ses habitans.

On se tromperait fort si des comparaisons que nous venons de faire on concluait que nous mettons l’industrie au-dessus de l’agriculture : nous voulions seulement ramener à de plus justes proportions la part à faire à l’une et à l’autre. Nous n’avons pas oublié la