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UNE
CRISE LATENTE

On l’a dit souvent, la nature ne chôme jamais ; les forces qui l’animent accomplissent sans cesse le mystérieux travail qui transforme toutes choses, et nous n’en apercevons l’action qu’en en constatant les effets. Rarement il nous est donné de jeter un coup d’œil dans l’intérieur de ce merveilleux laboratoire et de surprendre l’un de ses secrets, mais chaque découverte devient aussitôt un agent de progrès. Or la société, elle aussi, est un laboratoire mystérieux ; il s’y opère incessamment des transformations sans qu’on puisse toujours suivre le travail des forces qui s’y agitent, ni faire la part de chacune d’elles. Pourtant on conçoit combien la constatation d’une loi sociale peut contribuer à assurer notre conservation. Les élémens sociaux sont toujours en mouvement ; abandonné à lui-même, le courant nous entraînerait vers l’inconnu, dont l’obscurité cache tant de périls. La prudence commande de chercher à en sonder les profondeurs, afin de pénétrer jusqu’aux causes des phénomènes qui se développent devant nous.

Dans les pages qui suivent, nous tâchons de saisir sur le fait l’une des causes les plus actives du mouvement social actuel, la densité croissante de la population. C’est une cause qu’on a trop négligée jusqu’à présent. On s’évertue en vain à expliquer les évolutions et les révolutions dont nous sommes témoins, en donnant une part trop grande au hasard, au caprice ou à l’arbitraire. D’aussi faibles impulsions n’ont pu faire naître le puissant élan qui emporte notre époque ; pour produire des effets aussi grands, aussi variés et d’une