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sein des cités, elle a veillé sur les peuples sans se confondre avec eux. Aujourd’hui les guerres ramènent les jours que l’invasion de nos pères fit connaître à Rome elle-même ; elles sont un tumultus gallicus, où il ne suffit plus de donner à quelques-uns mandat de combattre, où pour défendre un peuple ce n’est pas trop du peuple tout entier. En de telles mêlées ne serait rien la force militaire qui ne forgerait pas en armes toutes les énergies vivantes dans la nature. Les troupes permanentes semblent se fondre dans les rangs improvisés de tous ceux qui vivent sur le sol et qui accourent autour des drapeaux ; animaux de trait, voitures, chemins de fer, télégraphes, approvisionnemens sont partout requis et partout nécessaires : l’industrie, l’agriculture du pays entier fournissent ce matériel que nul budget ne saurait donner, La marine a la première usé de ces ressources. Quand sur terre les armées se suffisaient encore à elles-mêmes, elle sut former ses équipages et parfois ses convois avec des hommes et des navires qu’elle prenait et restituait au commerce national. Au moment où les armées adoptaient son système, on s’est demandé si elle-même n’allait pas l’abandonner. L’éblouissement des transformations récentes a troublé beaucoup d’yeux et le préjugé s’est répandu qu’entre le vaisseau de guerre et le navire de commerce plus rien ne restant de commun, leur antique alliance avait vécu. Elle est devenue plus nécessaire, les changemens accomplis et qui ont rapproché le principal instrument de guerre et le principal instrument de commerce, le paquebot et le croiseur, l’ont rendu plus intime. Grâce à eux, la marine marchande peut donner à la flotte plus que toutes les industries territoriales à l’armée ; elle n’est pas seulement un auxiliaire pour les instrumens de combat, elle est l’instrument de combat lui-même. Les hommes responsables de la puissance navale veulent-ils connaître leur tâche ? Qu’ils étudient la marine marchande. Veulent-ils diminuer leur tâche ? Qu’ils développent la marine marchande. Ils auront trouvé à la fois le secret de faire de grandes choses avec peu de dépenses, l’avantage d’augmenter la richesse générale en épargnant le trésor, et la gloire, en préparant la guerre, de travailler à la paix.


ETIENNE LAMY.