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de poids à consacrer à l’armement ; plus l’armement est léger, plus il laisse de développement aux machines. Faute de pouvoir réunir sur les mêmes bâtimens des qualités également nécessaires, on a été contraint de créer dans la marine deux flottes distinctes : la flotte de course et la flotte de combat. Ce n’est pas que la première, la flotte cuirassée, doive négliger la vitesse comme un superflu. Pénétrer dans les rades avant que leur défense soit complète, bloquer les ports de guerre avant que l’ennemi en soit sorti, attaquer une fortification qui ne peut tenir sans secours extérieur avant que ce secours soit prêt sont des intérêts considérables, et il importe de donner aux cuirassés toute la vitesse compatible avec un fort armement.

Mais il faut se garder, en rendant les navires aptes à trop de services, de les faire médiocres en tout. La nature même des obstacles contre lesquels le cuirassé doit lutter laisse peu de place aux surprises ; les ouvrages permanens, les centres de marine militaire ont leurs défenses organisées et prêtes durant la paix même ; c’est pour les batailles inévitables que sont faits les « hommes de guerre, » comme les Anglais appellent ces bâtimens. Puisque la célérité de leur marche ne leur épargnerait pas une lutte, l’essentiel n’est pas qu’ils la livrent plus ou moins vite, mais qu’au moment où ils la commencent, ils soient armés pour la soutenir ; s’il faut sacrifier quelque chose, ce ne peut être ni l’artillerie, ni la défense, c’est la marche. Au contraire, dans les opérations accomplies par les croiseurs, soit qu’en mer ils poursuivent le commerce, soit que sur les côtes ils interdisent les ports et rançonnent les villes ouvertes, soit que sur le littoral ils débarquent ou détruisent des voies de communication, la puissance des armes joue un rôle secondaire, la promptitude des mouvemens est l’intérêt principal. Enfin c’est l’intérêt unique pour les bâtimens de garde, qui ne sont pas destinés à soutenir une lutte ; s’ils ne surprennent pas l’adversaire ou s’ils ne le devancent pas pour signaler son approche, ils perdent toute utilité.

Quelles que soient les difficultés d’exécution, les données du problème sont simples : tout ce qu’un navire perd en vitesse, il le doit gagner en force ; tout ce qu’il perd en force il le doit gagner en vitesse. S’il est contraint par sa lenteur d’accepter le combat, il faut qu’il soit capable d’y garder l’avantage ; s’il est menacé par sa faiblesse d’une défaite, il faut qu’il soit maître de la fuir. Cette vitesse a une mesure : la marche des meilleurs navires de commerce. Puisque les croiseurs ont pour mission principale d’arrêter le commerce maritime, il leur faut une allure égale à celle des navires les plus rapides qu’ils aient à poursuivre. C’est par suite la rapidité que doivent dépasser les bâtimens de garde et de laquelle doivent approcher les bâtimens de combat. Or si le rapport de vitesse entre les divers navires doit demeurer constant, la vitesse elle-même ne cesse