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la vitesse. Sans doute, s’ils se manquent et que le navire long tente de revenir par un cercle restreint face à l’ennemi, ralenti dans son allure et paralysé dans ses mouvemens, il offrira une prise facile à des rivaux que leurs dimensions aident à virer court. Mais pourquoi cette manœuvre où disparaissent ses qualités ? Qu’il continue sa route et décrive au loin un cercle assez étendu pour rendre insensible le changement de direction. Les facultés giratoires deviennent inutiles contre un navire que sa marche supérieure ne permet ni de cerner ni d’atteindre, et tous les avantages lui demeurent dans un combat qui se poursuit par des pointes rapides sur les adversaires et par de grandes courbes hors de leur portée. Cette situation change dans un seul cas, lorsque l’espace manque pour ces mouvemens à grands rayons ; il faut supposer pour cela que le navire s’est laissé pousser près de terre ou enfermer entre des hauts-fonds. Mais de telles éventualités sont des fautes. C’est le devoir des officiers de ne pas être entraînés dans les parages où les qualités de leurs bâtimens deviennent inutiles. Ce n’est pas le devoir des ingénieurs de tracer leur plan en prévision de ces erreurs. Avec de mauvais capitaines, il n’y a pas de bons vaisseaux.

Puisque la vitesse de marche directe est la plus importante, les navires de guerre se rapprocheront des formes usitées pour les bâtimens de commerce. Ceux-ci tendent vers cette uniformité par une réforme inverse. L’expérience a prouvé qu’on avait dans les derniers temps exagéré leur affinement au point de les rendre inaptes à manœuvrer dans les ports et par les gros temps : on avait construit des navires ayant en longueur jusqu’à quinze fois leur largeur. Aujourd’hui il semble établi que l’une des dimensions ne doit pas dépasser douze fois l’autre. Encore de pareilles formes ne conviendraient-elles pas à la marine de guerre. Les cuirassés surtout, avec des flancs si étroits, auraient leur centre de gravité trop facilement déplacé par les mouvemens de la mer. Il sera nécessaire de leur maintenir une largeur plus grande, mais fort inférieure à celle qu’on leur donne aujourd’hui, et moins les bâtimens seront chargés de cuirasse et d’artillerie, plus ils devront se rapprocher des proportions en usage dans le commerce. L’obstacle que l’inertie du vaisseau oppose à sa marche étant réduit au minimum, tout progrès dans le moteur augmentera avec la vitesse, la valeur de l’arme : la vitesse, en effet, ne se confond-elle pas avec la force puisqu’elle la porte, la protège et la supplée ?

Si inséparables qu’elles semblent pourtant, la difficulté est de les unir. La puissance de l’armement se traduit en poids, la puissance du moteur en poids. Ces deux pesanteurs se disputent en s’augmentant la capacité que le navire a de les supporter. Cette capacité est restreinte : moins est lourde la machine, plus il reste