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pu réussir à maintenir efficacement le blocus dont nous avions été chargés[1]. » Aussi les navires réservent-ils leur combustible pour les momens où ils auront à déployer toute leur vitesse, et, pour ne pas le consommer sans profit, se contentent de tenir les feux assez allumés pour faire rapidement de la vapeur ; parfois même ils sont forcés de les éteindre lorsqu’une avarie ou l’entretien des appareils exige qu’on les démonte ou qu’on les lubrifie. Or, sans parler de l’hypothèse où des pièces seraient démontées, un certain temps est indispensable aux navires pour passer du repos à leur maximum de vitesse. Pour produire de la vapeur à une pression suffisante, si les feux étaient allumés, il faudrait une heure ; si les feux étaient éteints, trois. D’autre part, les bâtimens en mer ne s’aperçoivent pas, même par un temps clair, au-delà de 12 milles, distance qu’il ne faut pas une heure pour franchir. Si un navire au repos connaît seulement à cette distance l’approche de bâtimens plus faibles qui, à sa vue, disparaîtront aussitôt, ou la marche de bâtimens plus forts qui à sa vue lui donneront la chasse, il ne lui reste aucune chance, soit de retrouver sur l’étendue des mers les traces des navires qui se seront enfuis, soit d’échapper à des navires qui seront sur lui avant qu’il ait pris du champ. Que faut-il pour mettre les vaisseaux à l’abri de ces surprises ? Etablir autour d’eux, comme on établit autour de toute force militaire, des grand’gardes, des sentinelles. Pour que les bâtimens chargés de cette fonction la remplissent, il les faut assez près du navire qu’ils couvrent, pour correspondre avec lui, assez éloignés pour qu’à leur signal il ait le loisir de se préparer, assez près les uns des autres pour ne laisser rien passer entre eux qui se dérobe à leur surveillance. Couvert à 12 milles par des bâtimens qui eux-mêmes découvrent à 12 milles plus loin, un navire peut être prévenu à tout instant de ce qui se passe dans un rayon de dix lieues. Le délai qui lui reste avant l’action ne suffirait pas sans doute en cas d’avaries : il n’y a aucune disposition militaire qui puisse rendre les blessés aptes au combat, mais, dans les circonstances ordinaires, un navire a le temps de se préparer soit à la lutte, soit à la retraite.

Pour que cette surveillance soit efficace, il faut qu’elle s’exerce sur toutes les routes ouvertes à l’imprévu. Quand un navire est garanti sur ses derrières et sur ses flancs, soit par le voisinage des terres, soit par la présence d’autres navires, le péril ne le menace que d’un côté ; il suffit pour le couvrir d’un seul bâtiment. Le nombre des bâtimens de garde doit croître à mesure que le navire est exposé dans plus de directions, et celui qui en a le plus besoin est le navire isolé en pleine mer. Pour le préserver des surprises, il ne faudrait pas

  1. Le Blocus de Venise, par M. le vice-amiral Jurien de la Gravière.