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la place, c’est abandonner la victoire ; s’y résigner d’avance, c’est renoncer dans la guerre navale à l’exécution d’un plan, c’est-à-dire au plus grand avantage qu’ait apporté la vapeur. Il faut soutenir la lutte. Mais y a-t-il lutte si l’un des adversaires ne peut être mis hors de combat ? Quelque intérieur qu’il soit par la puissance offensive, il l’emporte si le combat dure, et le combat dure si chacun veut garder la place. En cas pareil, même contre des navires non défendus, le cuirassement n’est pas superflu. Que les nations y renoncent ensemble qui sont sûres de se trouver partout égales en nombre et semblables en force, soit ! Mais le jour où un navire sera seul pour résister à plusieurs, chacun aussi armé que lui, son infériorité le voue à la destruction. Comment rétablir l’équilibre, sinon rendre les coups moins dangereux à qui est exposé davantage ? Qu’on suppose ce navire, avec l’armement le plus formidable, menacé par la faible artillerie d’une flottille. Chacune des embarcations a chance de mettre hors de combat un vaisseau de premier rang. Celui-ci, par chacun de ses coups, ne saurait détruire qu’une force médiocre. Sa puissance dépasse ce qui est nécessaire : il ne l’emploie pas, il la compromet, et l’enjeu des adversaires dans la bataille est si inégal que le plus fort se trouve le plus menacé. Quel moyen encore de rétablir l’équilibre, sinon de préserver des machines de guerre si précieuses contre des hasards d’une fin sans gloire et sans utilité ? Enfin, que ce bâtiment ait en face de lui non des navires, mais un littoral : exposé sans protection sur la surface unie de la mer, luttera-t-il avec avantage contre des batteries de campagne qu’abritent les accidens de terrain ? Que fera-t-il surtout contre des ouvrages régulièrement construits ? Les marins fédéraux qui forcèrent les passes des fleuves du Sud étaient certes de vaillans hommes ; jamais ils n’exposèrent leurs navires à une lutte contre les fortifications sans avoir protégé leurs bordages et leurs ponts par des madriers, des chaînes ou des balles de coton. Des gouvernemens ne doivent pas laisser à l’initiative des capitaines l’invention de ces défenses : elles ne suffiraient plus. Moins que jamais il est permis de se fier sur la supériorité même écrasante de son artillerie, car cette artillerie, mue par des moyens mécaniques, croît en fragilité plus encore qu’en puissance. Le bombardement d’Alexandrie vient de donner à ces vérités un singulier relief. Les pièces les plus efficaces que l’on connaisse, les canons de 80 tonnes de l’Inflexible, agissaient contre des fortifications médiocres et une artillerie de faible calibre ; pourtant les navires anglais ont été touchés en maints endroits et à des endroits dangereux, et s’ils n’avaient pas été cuirassés, la plupart, réduits au silence, auraient dû regagner Malte pour s’y réparer, heureux si leurs machines, intactes, avaient pu les y conduire ! Permettre à des