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est semblable sur ce point à toutes les grandes agglomérations humaines. Je dirai cependant à l’honneur de New-York que la débauche y est contenue et refoulée par la main vigoureuse de la police, fermement soutenue sur ce point par l’opinion publique, dans des quartiers obscurs où il faut aller la chercher, au lieu d’étaler dans les rues et dans les lieux publics la brutalité de ses provocations, comme à Londres, ou le scandale de ses élégances, comme à Paris. En ces matières si difficiles à régler, le pouvoir de la police new-yorkaise est très grand, une condamnation pour disorderly conduct pouvant toujours être obtenue au tribunal de police sur la simple affirmation d’un agent. Entre le laisser-faire de Londres et la réglementation de Paris, ce système serait peut-être le meilleur, si ce terrible abus de la corruption ne s’en était mêlé et si les officiers supérieurs de la police ne liraient, m’a-t-on assuré, une redevance personnelle de certaines tolérances nécessaires. Mais, à n’en juger que par le résultat, New-York est de toutes les grandes capitales que j’ai visitées celle dont l’aspect demeure le plus décent, et je ne suis pas le seul étranger qui en ait été frappé.

Parmi les tristes scènes dont j’ai été témoin durant cette nuit, il y en a cependant deux qui sont restées particulièrement gravées dans ma mémoire et que je peux raconter. L’une se passait dans un cabaret qui est un rendez-vous notoire de voleurs blancs, car les voleurs nègres ont leurs cabarets à part. Sur une estrade environnée d’individus de mauvaise mine qui applaudissaient bruyamment, deux individus en maillot, les poings recouverts de gantelets, se livraient à une partie de boxe. Toutes les deux ou trois minutes, ils s’arrêtaient un moment pour reprendre haleine, et, pendant cet intervalle, un piano usé faisait entendre les accords d’une valse. Je regardais de loin la personne qui tenait le piano. C’était une femme d’un certain âge aux vêtemens de couleur sombre et usés jusqu’à la corde. Je me demandais comment une personne dont l’aspect était assez décent pouvait se trouver égarée en si dangereuse compagnie lorsqu’en m’approchant d’un peu plus près je reconnus qu’elle était aveugle. Ce que la pauvre femme cherchait si bas, c’était probablement un dernier gagne-pain et un refuge contre la misère. Qui sait? lorsqu’elle était au début de sa carrière artistique, en pleine possession de la santé et de la jeunesse, elle avait peut-être rêvé la gloire !

L’autre scène se passait dans un café de bas étage. Autour des petites tables circulaient, en costume plus ou moins indécent, des femmes chargées du service, comme dans quelques-unes de nos brasseries parisiennes. Au fond de la salle, un petit théâtre et quelques piètres instrumens de musique. Pendant que