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leur salaire au profit de la caisse électorale de leur parti. L’administration de la voirie lui échappe de même presque complètement, toujours pour raisons politiques, et la question du balayage des rues, street-cleaning, est ainsi devenue une question de parti, ce qui explique peut-être pourquoi elles sont si mal balayées. Il rencontre les mêmes obstacles dans la nomination des commissaires du bureau de charité. En un mot, la politique se fourre partout à New-York, et, là comme partout, elle fait du mal. Mon interlocuteur termine ces renseignemens, qui m’intéressent fort, en me proposant avec beaucoup d’obligeance toutes les facilités pour visiter New-York en détail, aussi bien les bas quartiers, sous la conduite d’un inspecteur de police, que les établissemens charitables qui sont entretenus aux frais de la ville dans Blackwell-Island. J’accepte avec empressement, car je suis toujours curieux de ces dessous des grandes villes, et je trouve à New-York comme à Londres et à Paris un triste intérêt à constater ce que la surface brillante de la civilisation moderne recouvre d’immondices et de plaies.

Le lendemain donc, suivant les instructions qui m’ont été données, je me présente au bureau central de police, où l’on me met immédiatement en relations avec un detective. C’est un homme à l’œil petit et fin, à la physionomie froide et résolue « Vous pouvez parfaitement vous confier à lui, me dit mon introducteur, et aller avec lui dans n’importe quel endroit. Il aura un revolver chargé dans chacune de ses poches, et si quelqu’un faisait mine de vous attaquer, il retendrait raide mort. Il est coutumier du fait; seulement, dans ce cas, vous auriez à le soutenir (to support him). » Je réponds que je ne demande pas mieux, mais qu’on ferait peut-être bien de me donner pour cette éventualité une arme plus efficace que mon inoffensif parapluie. « Oh! non, ce n’est pas cela, me répond-on en souriant de mon erreur. Il vous défendra parfaitement tout seul et vous ferez même mieux de ne pas vous en mêler, mais vous aurez à témoigner en justice qu’il a tiré en état de légitime défense. » Sur cette assurance, nous prenons rendez-vous pour le soir, non sans qu’on m’ait fait voir auparavant un musée fort curieux, celui de tous les instrumens qui, depuis quelque vingt ans, ont servi à commettre un crime quelconque dans New-York, musée dont nous avons aujourd’hui l’embryon, grâce à l’intelligence et au sens artistique du chef actuel de la sûreté, M. Macé, et qui est fort instructif.

Je suis assez embarrassé pour parler, dans un travail de la nature de celui-ci, de la promenade nocturne que j’ai faite sous la conduite de mon énergique protecteur, promenade qui a été, du reste, absolument pacifique, et de tous les endroits où il m’a conduit. Il n’y a point de grande ville qui n’ait ses bas-fonds, et la cité impériale