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le premier peuple du monde, qu’il a été trahi, qu’il a été livré, en un mot, qu’il est indemne, et le peuple français continuera à croupir dans l’ignorance, à avoir le moins d’enfans possible, à boire de l’absinthe et à courir les donzelles : finis Galliœ. Nous mourrons parce que nous sommes agités sans but et que la danse de Saint-Guy n’est pas le mouvement ; nous n’avons pas d’hommes parce que nous n’avons pas d’idées; nous n’avons pas de principes parce que nous n’avons pas de mœurs. Nous sommes saturés de rhétorique; nous avons des façades de croyance, d’opinion, de dévoûment; derrière il n’y a rien. Tout est faux, tout est théâtral; nous sommes des Latins ; chez nous, comme pour le baron de Fœneste, tout est « pour paraître. » C’est la fin d’un monde; la papauté, en décrétant sa propre infaillibilité, a coupé la gorge au catholicisme à l’heure même où la puissance continentale protestante par excellence entrait en guerre contre la nation qui si longtemps s’est appelée la fille aînée de l’église : Gesta Dei per Francos. La France et sa vieille idole meurent en même temps, du même mal : le non-savoir et le non-réfléchir. Il y a une phrase des Mémoires d’outre-tombe qui m’obsède et sonne en moi comme un glas funèbre : « Il ne serait pas étonnant qu’un peuple âgé de quatorze siècles, qui a terminé cette longue carrière par une explosion de miracles, fut arrivé à son terme. »

« Je ne crois pas au siège de Paris. Les Prussiens n’ont pas encore commis une faute militaire ; ils ne feront pas celle d’attaquer de vive force une ville immense qui patriotiquement a laissé proclamer par tous les journaux qu’elle avait trois mois de vivres. Avec des corps d’armée, ils occuperont les routes de ravitaillement ; avec des partis de cavalerie et des batteries habilement placées, ils se relieront si bien que les maillons de la chaîne tendue autour de Paris seront soudés les uns aux autres. Combien de temps cela durera-t-il ? Question d’approvisionnement. Lorsque la ville aura mangé son dernier morceau de pain, lorsque le dernier ouvrier aura tué le dernier bourgeois ou que le dernier bourgeois aura tué le dernier ouvrier, on battra la chamade et l’on capitulera. Perdrons-nous l’Alsace et la Lorraine? Oui, si nous n’avons pas un homme d’état sérieux; non, si un homme connaissant bien l’Allemagne prend la négociation en mains. Démanteler Metz, Strasbourg et le chapelet de forteresses que nous avons sur la frontière et sauver les provinces, c’est là le résultat que l’on doit poursuivre. Au lieu de ces territoires, offrir nos colonies en vertu de ce principe qu’il vaut mieux se faire couper les cheveux que de se laisser couper la tête. Malgré sa richesse, l’Allemagne étouffe parce qu’elle n’a pas la vraie mer, qui est l’Océan; elle est insuffisante à consommer ses produits, qu’elle n’écoute que difficilement; elle est trop restreinte pour sa population, qui est