Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/801

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’importaient les blessures, les affronts reçus pendant le combat ? n’avions-nous pas enfin victoire gagnée? Il me semblait généreux, il me semblait patriotique de ne contrarier en rien les destinées nouvelles où la France s’engageait. Bien des gens ont pensé alors ce que je pense encore aujourd’hui, mais les écroulemens sont survenus, on ne voit plus que le désastre et l’on feint d’oublier les jours d’espérance qui l’ont précédé. A l’heure dont je parle, le pays paraissait s’acheminer vers une prospérité où il eut trouvé la sécurité et la gloire. La liberté est expansive, elle eût attiré, elle eût retenu les plus récalcitrans ; le suffrage universel, par le seul fait de son fonctionnement, eût produit les réformes nécessaires, réformes lentes et pacifiques, comme celles qui doivent être durables ; les intransigeans eux-mêmes, réduits à un groupe plus turbulent que nombreux, auraient fini par subir, sinon par accepter un système qu’ils ne pouvaient détruire, et la paix intérieure eût enfin régné en France. Lorsque l’on se reporte aux premiers mois de l’année 1870, ces précisions n’ont rien d’excessif, et l’on pouvait s’imaginer que l’on entrait dans une existence politique analogue à celle où la Belgique et l’Angleterre ont trouvé la stabilité et la force. On sait comment ce rêve s’est évanoui.

Les ministres semblaient vouloir consulter l’opinion publique sur plus d’un point ; on formait des commissions extra-parlementaires auxquelles on soumettait des problèmes à résoudre. Une commission de décentralisation fut instituée par décret impérial; j’en fis partie; j’ai su comment, mais je n’ai jamais su pourquoi. A ma grande surprise, l’empereur me désigna lui-même, comme plus tard il devait me nommer sénateur; il avait lu mes études sur Paris et s’imaginait que je pourrais être de quelque utilité dans une réunion où les questions administratives auraient dû primer toutes les autres. Il se trompait. Je suis de tempérament centralisateur et je me doutais que, dans la commission, on s’occuperait surtout de politique, à quoi j’étais impropre. En effet, cette commission, à laquelle le président Odilon Barrot recommandait « d’éloigner de ses lèvres la coupe décevante de la popularité, » était composée, en grande partie, de victimes du suffrage universel et de futurs candidats officiels ; la politique les agitait beaucoup ; il semblait, sans qu’on l’avouât, que toute discussion tournait autour des prochaines élections législatives et que l’administration, qui, en réalité, aurait seule dû être en cause, était singulièrement négligée. Sans me permettre de prendre la parole sur une question qui m’était indifférente, j’avais fait remarquer, en causant avec quelques-uns de mes collègues, que la centralisation politique n’était que la résultante de la centralisation administrative et que, si l’on voulait affaiblir l’une, il fallait nécessairement commencer par diminuer