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SOUVENIRS LITTÉRAIRES



QUINZIÈME ET DERNIÉRE PARTIE[1].


XXIX. — LE DÉSASTRE.

Depuis que je suis né, — 1822, — j’ai vu, en France, bien des gouvernemens, et je serai taxé d’impudeur si je dis que le régime le plus libre que j’aie connu est celui qui fut inauguré, sous le second empire, en juillet 1869, lorsque le marquis de Chasseloup-Laubat devint chef du ministère, c’est-à-dire ministre dirigeant. Ce n’est cependant que la vérité. Le 15 août, l’amnistie fut proclamée, nulle poursuite ne fut dirigée, ni contre les journaux, ni contre les orateurs des réunions publiques, et cependant leurs violences furent excessives. Chasseloup-Laubat lutta contre les sénateurs, contre les membres de la majorité législative, contre le conseil des ministres, et maintint le droit absolu de discussion, jusqu’à l’injure, jusqu’à la calomnie, jusqu’à la provocation à l’assassinat. Le départ de Chasseloup-Laubat fut un irréparable malheur pour la France ; s’il avait été appelé à faire partie du ministère du 2 janvier, s’il eût reçu le portefeuille des affaires étrangères, jamais les machinations de l’incident Hohenzollern n’eussent produit autre chose qu’un échange de noies diplomatiques, et la liberté parlementaire se fût pacifiquement développée. Au temps de ma première jeunesse, j’avais côtoyé le marquis de Chasseloup-Laubat dans le salon

  1. Voyez la Revue des 1er juin, 1er juillet, 1er août, 1er septembre, 1er octobre, 1er novembre, 1er décembre 1881,15 janvier, 15 avril, 15 mai, 15 juin, 15 juillet, 15 août et 15 septembre 1882.