Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le droit de représentation au parlement français. Les temps moderne ont inventé un merveilleux et délicat instrument de gouvernement ce sont les chambres. Elles peuvent et elles doivent être un organe de liberté ; dans certaines circonstances, elles tendent à devenir un organe d’oppression. La prépondérance qu’acquièrent les députés, l’importance de plus en plus grande qu’ils prennent, l’influence décisive qu’ils exercent sur les lois d’abord et ensuite sur la matière dont les lois sont appliquées, toutes ces circonstances font qu’une population qui n’a pas le droit de suffrage dans un pays parlementaire est dépourvue de toutes garanties ; si, en outre, il se rencontre certaines catégories d’élus qui aient naturellement des intérêts opposés à cette population sans droits de représentation, il y a bien des chances pour qu’elle soit opprimée. Nous avons, certes, des sympathies et de l’estime pour les sénateurs et les députés qui représentent les 200,000 Français de l’Algérie, mais ces députés et ces sénateurs ont souvent des préjugés à l’endroit des 3 millions d’autres habitans de notre colonie ; ils ont parfois des passions, des rancunes, des préventions de nationalité, et ils mettent leur talent et leur influence à faire triompher ces rancunes, ces passions ou ces préjugés. Quand il s’agit du traitement des indigènes, qui pourrait prétendre que les députés et les sénateurs algériens soient froids et impartiaux ? Ils représentent une minorité d’habitans qui veut dominer, qui veut posséder la terre, qui agit avec toute l’énergie et aussi l’irréflexion auxquelles ne sont que trop enclins les colons de tous les pays. Quand on les entend, il est certain qu’on n’entend qu’un son. Je suppose que les députés algériens se lèvent dans nos chambres pour soutenir le projet de loi ayant pour but d’exproprier les Arabes de 4 ou 500,000 hectares de terres, ne serait-il pas bon qu’après eux un représentant des indigènes pût prendre la parole et, dans sa rude franchise, tenir à notre parlement un langage analogue à celui que notre grand poète met dans la bouche du paysan du Danube devant le sénat romain ? Toutes les objections à la représentation des Arabes sont frivoles. Ils n’ont pas, dit-on, notre statut personnel ; mais les Hindous de Pondichéry ou de Chandernagor, qui nous envoient un sénateur et un député ne l’ont pas non plus ; nous ne sachions pas que tous les électeurs du Sénégal l’aient davantage ; ils ne sont pas de même race que nous : il ne nous paraît pas que les noirs de la Martinique ou de la Guadeloupe soient plus de notre famille.

Les Arabes ont, sur toutes les populations que nous venons de nommer, cet avantage que beaucoup ont combattu sous nos drapeaux, qu’un certain nombre sont dignitaires de notre ordre national. Prenons-y garde : il se rencontre aujourd’hui dans la jeunesse