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plus que la moindre partie des indigènes ; s’il s’étend sur une vingtaine de millions d’hectares de déserts ou de stoppes, il ne contient plus que 400,000 à 500,000 âmes. Le territoire civil a une superficie de 11,184 hectares, soit la surface de près de vingt de nos départemens français, avec une population de 2,800,000 habitans en chiffres ronds. Ce territoire est subdivisé en communes de plein exercice qui sont assimilées aux communes de France et ont les mêmes droits municipaux, en communes mixtes qui n’ont qu’une vie municipale embryonnaire, et en communes indigènes qui sont gérées avec une autorité presque absolue par des agens de l’autorité française. Cette diversité de constitutions communales s’explique par l’inégalité de densité de l’élément européen sur toute cette vaste surface. Les Kabyles, avec leurs djemmaas ou conseils électifs, ont une organisation un peu à part. Une commune algérienne, surtout une commune mixte ou une commune indigène, diffère singulièrement par l’étendue des petites circonscriptions communales françaises; il n’est pas rare qu’une commune mixte soit grande comme plusieurs de nos cantons, presque comme un arrondissement. Quand on a agrandi dans ces proportions le territoire civil, au point d’y faire entrer la plus grande partie de la population arabe, c’était sans doute dans la pensée que la colonisation de l’Algérie était assez ancienne pour que les divers élémens de la population y fussent pacifiés et se prêtassent à un régime administratif libéral. On a cependant laissé subsister sous le régime civil beaucoup de l’arbitraire que l’on reprochait aux bureaux arabes. Les indigènes, même les plus notables, les plus connus par les services qu’ils ont rendus à la France, sont encore soumis, même près des villes et sur les côtes, à un droit exceptionnel qui est d’une grande rigueur. Il s’est fondé à Paris, l’an dernier, une association qui a pris le nom de Société française pour la protection des indigènes des colonies et qui publie un bulletin où sont relatées les vexations ou les avanies dont les indigènes peuvent être victimes[1]. Cette société s’inspire des sentimens les plus nationaux, les plus patriotiques et les plus politiques. Elle dénonçait dernièrement les « délits spéciaux à l’indigénat » qui motivent de la part des agens de l’autorité des peines arbitraires et fantaisistes. Parmi ces délits spéciaux figurent les faits les plus vagues, les moins susceptibles de preuves précises et aussi les plus inoffensifs ; il s’y glisse même des clauses ridicules. Répandre des bruits de nature à nuire à l’autorité, réclamer au sujet d’une solution définitive, voilà des délits spéciaux à l’indigénat. Le pauvre diable que l’on aura exproprié de ses terres et qui réclamera ou

  1. Cette société a son siège, 18, rue Daunou.