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rend nécessaire une nouvelle instruction de l’affaire. » Voilà l’aveu très explicite que les évaluations de la commission des centres, qui se compose de fonctionnaires ou de colons, sont très au-dessous de la valeur vénale.

Doit-on continuer, généraliser et étendre ce singulier système d’expropriation? doit-on, au contraire, y renoncer complètement et immédiatement? L’équité, le bon sens, la politique sont en faveur du dernier parti. Si nous voulons que nos 200,000 colons soient perdus au milieu d’une masse irréconciliable de 3 millions d’Arabes, si nous acceptons qu’à la première circonstance critique pour nous, tous les indigènes se soulèvent, nous n’avons qu’à persévérer : nous sommes dans la bonne voie. Si, au contraire, nous pensons qu’il est superflu d’augmenter notre armée d’Afrique, qu’il serait dangereux d’avoir un soulèvement unanime des Arabes dans une circonstance où nos forces seraient occupées en Europe, il faut mettre fin sans le moindre retard à ces tristes procédés. Il convient d’autant plus de le faire que cette méthode d’expropriation, à supposer qu’elle fût inoffensive au point de vue de la morale et de la sécurité publique, n’a plus aucune utilité pour le développement régulier de la colonisation. Dans les premiers temps de notre occupation, on comprend qu’il y eût quelque avantage à grouper les colons en centres. Aujourd’hui, il n’en est plus de même. L’administration prend de grandes responsabilités, fait des dépenses considérables, parfois pour créer un village qui se trouve sans eau, exposé à des fièvres, et que les colons abandonnent le lendemain. Il n’est pas une contrée du monde où l’on colonise ainsi. Les centres qui prospèrent sont en général ceux qui sont fondés et entretenus par des compagnies privées, comme les villages de Boukhalfa et d’Haussonviller, qu’a créés la société présidée par M. le comte d’Haussonville; mais, parmi les centres officiels, la plupart languissent et manquent de tout. Si le gouvernement tient à continuer ce défectueux système de peuplement, il a encore quelques ressources en terres sans prendre celles des indigènes. Le domaine n’est pas complètement épuisé. Au 31 décembre 1880, les immeubles consignés sur les sommiers de consistance des biens de l’état comprenaient, en laissant de côté ceux qui sont affectés à des services d’utilité publique, 1,159,000 hectares de bois et forêts, et 839,000 hectares de terres disponibles, divisés en 9,624 parcelles. Sans doute, une partie de ces espaces sont éloignés des routes et se trouvent peut-être d’une fertilité médiocre; l’état pourrait encore s’entendre avec certaines compagnies foncières européennes, comme la Société algérienne, qui toutes réunies détiennent ensemble de 150,000 à 200,000 hectares de terres. En leur en achetant une partie, il pourrait avoir des territoires où créer des centres.