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peut-être davantage, avant que les exportations algériennes s’élèvent au chiffre des importations, mais on ne saurait ni s’en plaindre ni même le regretter. Un propriétaire qui crée une ferme dans une contrée inculte y apporte pendant longtemps beaucoup plus d’argent qu’il n’en tire : ce n’est pas une cause d’appauvrissement, si la ferme gagne en valeur, si elle donne des récoltes croissantes. Une nation qui colonise est comme ce propriétaire, avec cette seule différence que ce qui dure pour l’un sept ou huit années se prolonge pour l’autre pendant un espace dix ou douze fois plus grand. L’Algérie démontre chaque année que les sacrifices qu’on fait pour elle ne sont pas perdus. Son commerce extérieur, qui s’est élevé en 1880 à 472 millions, dépassera probablement un milliard dans dix ans et atteindra peut-être 2 milliards au commencement du XXe siècle. À cette époque, elle sera encore une toute jeune colonie, analogue à ce qu’étaient les États-Unis vers la fin du XVIIe siècle. Le commerce colonial a cette particularité qu’il est plus profitable et plus sûr que le commerce étranger : la conformité de la langue et de l’éducation, l’analogie des goûts et des mœurs font que le peuple colonisateur, pourvu qu’il soit actif et industrieux, conserve facilement la prépondérance dans les affaires aux colonies, même lorsqu’elles se sont émancipées. La plus grande partie en commerce extérieur de l’Algérie se fait avec la France ou par son intermédiaire. Il en est ainsi surtout de la navigation. Sur les 1,729,000 tonnes de jauge qui sont entrées, en 1880, dans les ports algériens, 1,101,000 portaient le pavillon français. Si Marseille s’est rapidement développée depuis trente ans, si sa population s’est accrue, l’Algérie en est une des principales causes. Un jour prochain, la vieille cité phocéenne aura peut-être 500,000 habitans, c’est à l’Algérie qu’elle les devra. Cette, Port-Vendres et les ports de notre littoral ont dans la croissance continue de l’Algérie leurs plus belles espérances d’avenir. Ce fut sans doute un rêve plein d’illusions que de supposer que la Méditerranée deviendrait un jour un lac français ; mais si la marine française fait encore bonne figure dans cette mer intérieure, le berceau de notre civilisation, c’est à nos provinces d’Afrique que nous le devons.

Les ressources de l’Algérie sont, en effet, considérables et ce n’est que depuis une quinzaine d’années qu’elles commencent à être sérieusement exploitées. Agriculture, mines promettent à ce pays une prospérité dont on ne fait encore que recueillir les prémices. Au point de vue agricole, l’Algérie a des désavantages, elle manque d’humidité ; depuis deux ans surtout la sécheresse y a sévi et fait des ruines. Mais beaucoup de contrées florissantes souffrent du même fléau. Nos départemens méditerranéens y sont exposés, et ils ne laissaient pas que de jouir, avant le phylloxéra, d’une merveilleuse richesse, L’Australie