Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/767

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

civilisée aussi considérable? Bien ignorans et bien légers seraient ceux qui porteraient un semblable jugement. A l’exception de la Nouvelle-Zélande, qui s’offrait aux colons européens dans des conditions bien plus favorables que l’Algérie, il n’est pas de colonie qui ait eu un essor aussi rapide. Le Canada, quand il nous fut arraché en 1763, ne contenait que 60,000 Français, quoique nous en fussions maîtres depuis plus de deux siècles. La colonie anglaise qui se rapproche le plus de l’Algérie, l’Afrique australe, comprenant le Cap et Natal, ne compte pas aujourd’hui 300,000 habitans d’origine européenne, et cependant le peuplement y a commencé il y a trois siècles environ. L’Australie, et sa dépendance la Tasmanie, où le premier convoi de détenus britanniques débarqua en 1787, ne possédait en 1850, à la veille de la découverte des mines d’or, que 480,000 colons[1], et cependant elle était alors beaucoup plus vieille que notre Algérie. Bien loin de rougir de ce que nous avons fait en Afrique, nous devrions donc en être fiers, car il n’a été donné à aucun peuple de constituer en aussi peu de temps, sur une terre étrangère, un noyau aussi considérable de population européenne. Si l’excédent des arrivées sur les départs était aussi important que dans la dernière année, vers la fin du siècle, le nombre des habitans de race européenne en Algérie atteindrait un million, et probablement, quand notre colonie célébrerait son centenaire, bref intervalle dans la vie d’un peuple, — deux millions.

Si les immigrans de toutes catégories affluent depuis quelque temps dans notre Afrique, c’est que la terre et le climat y sont hospitaliers et qu’on y trouve du travail. Pendant trente ans, on put croire que l’Européen ne pourrait pas s’acclimater en Algérie. Jamais un homme réfléchi n’a partagé ce préjugé, car le colon anglais a trouvé le moyen de prospérer et de multiplier presque sous toutes les latitudes, aux Carolines, en Géorgie, aux Antilles, aussi bien que dans l’Australie du Nord. On ne pourrait comprendre pourquoi l’Algérie serait plus inhabitable. Néanmoins, pendant vingt-cinq ans environ, il y eut dans la population civile d’origine européenne beaucoup plus de décès que de naissances. différentes causes y contribuaient ; un grand nombre de colons étaient célibataires, les hommes dépassaient de beaucoup le nombre des femmes, ce qui est le cas de toutes les colonies jeunes, et, par conséquent, les familles ne pouvaient s’y fonder. Le sol n’était pas encore assaini, et les défrichemens ne pouvaient qu’ajouter à l’insalubrité; le régime hygiénique était mauvais. A partir de 1853, ces conditions changèrent : les naissances vinrent à excéder les décès ; la population européenne

  1. Voir notre livre : de la Colonisation chez les peuples modernes, 2e édition; 1882, Guillaumin, éditeur.