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pour la plupart disparu. Terre malsaine, disait-on, inhabitable aux Européens ; terre ingrate, presque stérile, sans ressources, qui absorberait d’énormes capitaux sans rien restituer en retour. L’expérience a d’une façon décisive écarté tous ces griefs.

L’Européen vit en Algérie et y multiplie. Le recensement de 1876 y constatait la présence de 320,300 habitans d’origine européenne, dont 155,700 Français, 92,500 Espagnols, 25,800 Italiens, 14,200 Maltais, 5,700 Allemands, 17,500 âmes d’autres nationalités et 8,900 de la population dite en bloc, c’est-à-dire des prisons, hôpitaux, etc. Au moment où nous écrivons, le recensement de 1881 est terminé, mais les chiffres détaillés n’en ont pas encore été publiés. On peut dire, cependant, sans risque d’erreur, qu’il se trouve en 1882 au moins 400,000 habitans d’origine européenne dans notre ancienne province d’Afrique, et que sur ce chiffre la moitié environ sont des Français. Cette population a deux sources d’accroissement : d’abord l’excédent des naissances sur les décès, puis l’immigration. Tour à tour favorisée par les passages gratuits et découragée par les réglemens administratifs, l’immigration en Algérie est devenue spontanée, régulière, considérable. Elle a d’autres caractères que dans les pays lointains. Ce ne sont pas seulement ni surtout des agriculteurs ou de pauvres hères, en quête d’une existence meilleure, de terres vacantes et d’un travail plus sûr, qui débarquent en Afrique: à côté d’eux et en bien plus grand nombre on trouve des ouvriers habiles, des commerçans, des gens d’affaires, des capitalistes, des oisifs même ou des touristes, dont un grand nombre est retenu par l’attrait des lieux et le charme du climat. Chaque année les paquebots apportent en Algérie un bien plus grand nombre d’Européens qu’ils n’en ramènent en Europe. En 1879, par exemple, les arrivées étaient de 102,828 personnes, et les départs de 79,524, soit un excédent de 23,304 immigrans. Il en est à peu près de même en 1880 ; les arrivées s’élèvent à 120,397 et les départs à 102,961, ce qui laisse pour les premières un excédent de 17,436. Il est bien entendu que les troupes ne figurent pas dans ces chiffres. Ce sont les passagers voyageant à leurs frais qui en forment la masse, les colons proprement dits ou immigrans subventionnés n’entrent guère dans ces nombres que pour la centième partie. Ainsi, dans les deux dernières années, l’Algérie paraît s’être enrichie de 40,740 Européens, et la colonisation officielle n’a coopéré à ce résultat que dans une proportion insignifiante.

Quand nous estimons à 400,000 le nombre des habitans ou résidens d’origine européenne, nous nous tenons à l’abri de toute exagération. Doit-on regarder comme un échec une entreprise de colonisation qui, après cinquante années dont les deux tiers étaient des années de guerre, est parvenue à fixer en Afrique une population