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favorables, tantôt indifférens, parfois complètement hostiles. Nous excusons tous ces tâtonnemens. Jamais une entreprise coloniale n’a offert à un peuple civilisé d’aussi grandes difficultés que notre entreprise algérienne : L’Algérie n’est pas une terre quasi vacante, comme l’étaient à l’origine l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis; elle ne peut donc, comme ces dernières contrées, être simplement une colonie de peuplement, servant de déversoir à l’exubérance de la population de l’Europe. L’Algérie n’est pas davantage une terre où tout le sol soit occupé et, cultivé par une population dense, de mœurs douces, comme les Indes ou l’île de Java, et ne peut être, comme ces dernières, une pure colonie d’exploitation. La colonisation de l’Algérie est. sans précédens et sans analogies dans l’histoire ou dans les temps présens : les difficultés que rencontre l’Angleterre dans l’Afrique australe ne sont rien à côté de celles que nous devons surmonter dans l’Afrique du Nord, car les Arabes sont plus nombreux, plus intelligens et plus guerriers que les Cafres ou les Zoulous. Pour un observateur impartial, ce que nous avons fait jusqu’ici en Afrique est digne d’éloges: nulle autre puissance européenne, sans en excepter l’Angleterre ni la Hollande, n’eût obtenu dans ce pays, en un temps aussi bref, un aussi grand succès. On s’en convaincra par l’esquisse rapide que nous allons tracer de la situation actuelle de notre colonie. Mais, d’autre part, le temps des expériences et des irrésolutions est passé. Le moment est venu d’adopter un plan de colonisation qui soit définitif, de choisir une politique nette, que nous suivions avec fermeté. La question grave, capitale, celle dont la solution décidera de l’avenir de toutes nos possessions africaines, c’est la question du traitement que nous voulons faire aux indigènes. Devons-nous envers eux nous inspirer des principes de justice, tâcher de faire des Arabes des sujets loyaux et dévoués, des collaborateurs utiles? Au contraire, voulons-nous, plus de cinquante ans après la conquête, nous montrer plus rigoureux que jamais et, dans notre conduite envers les vaincus nous inspirer des principes impitoyables de l’ancien droit païen ou du droit oriental? Il faut que la conscience nationale réfléchisse à ce grave problème et qu’elle se prononce avec décision.


I.

L’Algérie, qui fut longtemps si décriée à l’étranger et qui, sous la monarchie de juillet, eut en France également bien des détracteurs, a prouvé, pendant les cinquante années qui viennent de s’écouler, qu’elle peut devenir une colonie européenne très florissante. Les préjugés nombreux qui pesaient sur elle à l’origine ont