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et si nouveau pour moi; puis je repris ma route le long des quais. Quelques jours plus tard, lorsque l’assaut scandaleux des places m’inspira la Curée, toutes ces images guerrières étaient dans ma tête comme si j’avais assisté à la bataille. L’ancien aide-de-camp du général Jouarez, que je n’ai jamais revu et dont j’ignore le nom, a été le premier moteur de mon enthousiasme, et il ne se doute guère, s’il vit encore, de ce que je lui suis redevable dans la composition de cette pièce, qui a commencé à me faire connaître. Ses paroles, du reste, furent confirmées par tout ce que j’entendis à propos des événemens. Pas un journal qui ne vantât l’héroïsme du peuple et qui ne rapportât à son initiative spontanée et courageuse la gloire des trois journées. Le Constitutionnel du 30 juillet disait: « Quand de toutes parts on demandait des chefs, le peuple, qui a tout fait, il faut le proclamer hautement, se battait sur tous les points. » Quel mauvais français! et que tout cela est vu, jugé bourgeoisement. La citation du Constitutionnel venant à la fin complète le morceau. On avait jadis une expression pour ce genre de style; on disait : « C’est écrit à la papa. » Chez Barbier, ce style est à l’état de nature; il prend au sérieux le Constitutionnel, et le plus honnêtement du monde, il s’en inspire, ce qui fait que sa pièce, en donnant tout au peuple, est un contre-sens. Non, la « sainte canaille » ne fut point seule cette fois à « se ruer à l’immortalité; » elle eut des chefs, et très brillans, pour la conduire aux barricades, des chefs sortis de cette jeunesse dorée sur laquelle il daube à bras raccourcis et qui se battit fièrement ce jour-là, quoi qu’il en glose. Fuir le danger, s’y dérober, « trembler pour sa peau » n’était point dans les mœurs de cette époque toute d’élan, de fougue et d’exaltation. Accusez-la de turbulence et d’intempérance, mais nous venir parler de couardise, c’est méconnaître absolument le caractère particulier de cette société, qui fut comme une dernière lueur du XVIIIe siècle, comme un été de la Saint-Martin de notre ancienne société française, — élégante, brave, entraînée, jeune surtout et se passionnant pour les idées, jeune à tous les âges, tandis que maintenant on est vieux.

Barbier a le coup d’aile, mais par intervalles; il monte et ne plane pas. Sa muse, après l’avoir ravi jusqu’aux astres, le laisse retomber en platitude. Alors l’atavisme reprend ses droits, le fils de l’avoué retourne à l’étude paternelle et les grosses de littérature naissent sous sa main. Non que tout soit mauvais dans cet ordre de productions; le fatras des Reliquiœ contient même des choses à ne point rejeter; nommément, une vie d’Auguste Brizeux, dont peut-être nos lecteurs nous sauront gré de leur offrir l’étrenne. C’est écrit d’un trait, et dans la rareté des documens sur le sujet, nous n’hésitons