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aborder la scène. Un public hostile et goguenard l’attendait au défilé et l’auteur dramatique allait avoir cette fois à payer rudement pour les sottises du théoricien. Somme toute, ce Benvenuto Cellini fut un désastre. Dès la troisième soirée, Duprez abandonnait son rôle, et la pièce, au bout de huit représentations, quittait l’affiche. « Il y a quatorze ans que j’ai été traîné sur la claie à l’Opéra, je viens de relire, avec le plus grand soin et la plus froide impartialité, ma pauvre partition, et je ne puis m’empêcher d’y rencontrer une variété d’idées, une verve impétueuse et un éclat de coloris musical que je ne retrouverai peut-être jamais et qui méritaient un meilleur sort. » Ainsi s’exprime Berlioz dans ses Mémoires écrits en 1850. Et j’ai moi-même constaté la vérité de son jugement chaque fois qu’il m’a été donné d’entendre exécuter sa partition en Allemagne. Mais si la musique de Benvenuto Cellini vaut mieux, en effet, et beaucoup mieux que sa réputation, s’il y eut dans la chute de cet opéra un peu de ces combinaisons atmosphériques qui, vers la même époque, amenèrent la catastrophe du Roi s’amuse, il faut reconnaître que la circonstance ne doit pas s’étendre jusqu’au poème tombé également sous les sifflets et celui-là sans chance de se relever.

Une autre étude dramatique, insérée au volume des Satires et Chants, son César Borgia, nous montre à quel point Barbier se préoccupait de cette importation au théâtre d’une langue ayant pour objet de remplacer l’alexandrin. Voltaire, et Musset après, lui s’étaient servis du vers croisé, Barbier emploie le vers sans rime :


Vous êtes de ce temps le premier capitaine,
Mais ils ont devers eux ce que vous n’avez pas,
Des soldats, des écus, et si chétif, si mince
Qu’un talent soit, s’il a de nombreux bataillons,
On voit que Dieu souvent de son côté se range.


L’effet d’abord est assez bizarre, puis on s’y accoutume, et alors vous n’avez plus à redouter ni les périphrases ni les chevilles. Ce vers dragage d’impédimens s’avance libre, aisé, soutenu par le seul nerf du nombre et de la mesure. Évidemment, si Shakspeare, Goethe et Schiller doivent être jamais introduits sur notre scène d’une façon définitive, ce sera par ce style ou quelque chose d’approchant. Je m’étonne que personne encore n’ait relevé chez Barbier cet esprit de réforme, c’était un chercheur ; s’il manquait d’habileté dans l’exécution, il avait de tous les côtés des tendances d’artiste. On lit, on relit les Iambes, sans le moindre égard pour ses autres volumes de vers. Sait-on seulement qu’ils existent ? et pourtant, dans ce fumier d’Ennius, que de perles ! Son poème d’Érostrate, par exemple,