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singulier contraste ; les poètes sont ainsi faits que tout leur semble précieux de ce qu’ils écrivent ; Victor Hugo n’a-t-il pas recueilli dans son théâtre le scénario d’Esméralda ? Barbier imitait cet exemple en nous donnant son Benvenuto Cellini rimé jadis pour Berlioz. Tout cela ne valait certes point la peine d’être conservé et ne s’excuse que par l’anecdote. Berlioz, à force de démarches et grâce à l’influence du Journal des Débats, venait d’obtenir promesse du directeur de l’Opéra. On discutait la question du poème et l’impétueux musicien proposait de prendre pour sujet la vie du sculpteur florentin dont sa vie à lui paraissait déjà devoir reproduire l’agitation. Il avait même commencé à se tailler dans les Mémoires une vaste composition en quatre actes et sur mesure où figuraient les luttes de l’artiste avec ses rivaux, le siège de Rome et la mort du connétable de Bourbon. Le drame ainsi conçu prêtait aux développemens, au spectacle, et ce fut là son côté critique aux yeux de l’administration qui, — faut-il le dire ? — n’avait pas confiance. On admit donc en principe le sujet, mais réduit à deux actes et sous condition qu’il serait remanié. Alfred de Vigny, ne pouvant alors ou ne voulant se charger de la besogne, désigna Léon de Wailly, qui vint à son tour trouver Barbier et lui demander sa collaboration ; du premier drame il ne resta qu’un épisode : la fonte de la statue de Persée et les obstacles matériels et moraux que l’artiste eut à vaincre pour l’amener à bien. L’histoire de Benvenuto n’était pas, je le répète, un événement pris au hasard, le personnage et ses actes avaient plus d’un rapport avec le caractère et la situation du musicien contemporain. Ce drame était en quelque sorte l’image de sa vie de labeur et de combat ; ajoutons, hélas ! qu’il ne fut pas celle de son triomphe. Berlioz, quoique jeune encore, avait déjà trouvé moyen de lasser la patience du public. De nos jours, les incartades de ce genre ne scandalisent plus personne ; il nous paraît tout naturel qu’on soit en même temps partitionnaire et feuilletoniste, et, dans la médiocrité relative de la période actuelle, nombre d’excès passent inaperçus qui, dans la pleine lumière du siècle, exaspéraient la conscience des honnêtes gens. Représentez-vous ces incessans défis portés à toutes les admirations consacrées, cette guerre de sagittaire Turlupin contre les renommées les plus françaises. Il est vrai que, depuis, nous en avons vu bien d’autres ; mais ceux-là même qui par la suite ont eu maille à partir avec l’orageux iconoclaste, ne se doutent pas de ce qu’était le Berlioz de cette période préwagnérienne. Il mécontentait, agaçait tout le monde, et ses meilleurs amis lui en voulaient de ses gamineries, qui ne servaient qu’à donner la réplique aux antagonistes du romantisme.

Aussi l’accueil fut-il des plus ingrats lorsqu’il voulut à son tour