Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la terre sous ses pas, comme Bonnivard enchaîné creusait le sol du caveau de Chillon. Mais on m’informe que sa maison a été vendue par ses héritiers; ses livres dispersés, et j’en suis réduit à la contempler de loin. Du moins j’apprends avec plaisir que Pepperell est encore entre les mains de ses enfans, « exemple assez rare en Amérique, où, disait Prescott lui-même, le fils s’assoit rarement à l’ombre des arbres que le père a plantés. »

J’ai voulu tout au moins profiter de ce trop court séjour pour jeter un coup d’œil aux établissemens scolaires de la ville. Je parlerai peu de l’université d’Harvard, située à deux milles environ de la ville, que nous avons fort mal vue, car nous y avons été conduits processionnellement, un escadron de lanciers de la milice (dont beaucoup semblaient n’avoir pas fourni depuis longtemps une si longue traite) galopant à nos portières. La partie la plus intéressante de notre visite a été peut-être une courte halte à la maison du poète Longfellow, qui malheureusement étant déjà malade n’a pu nous recevoir. C’est là que peu de temps après notre départ, il s’est éteint, après une noble vie au cours de laquelle on peut appliquer ce que lui-même, dans un beau vers d’Evangéline, a dit de ces rivières qui coulent au travers de forêts obscures, « assombries par les ombres de la terre, mais réfléchissant une image du ciel. »


Darkened by shadows of earth, but reflecting an image of heaven.


Quant à l’université elle-même, elle se compose d’un assez grand nombre de bâtimens sans grand caractère architectural, mais présentant un assez bel ensemble, et séparés par des cours plantées d’arbres magnifiques. Qu’on se figure un Oxford ou un Cambridge plus moderne, et en tout cas quelque chose d’absolument différent de nos hideux bâtimens d’instruction secondaire ou supérieure, qu’ils s’appellent Louis-le-Grand ou la Sorbonne, bâtimens qui semblent construits dans l’unique dessein d’inspirer l’horreur de la vie studieuse. Tout en parcourant l’université au galop, je tâche d’attraper à la volée quelques renseignemens sur le genre de vie des étudians, assez semblable à celle des undergraduates d’Oxford ou de Cambridge, avec plus de liberté encore. Les étudians y arrivent, vers l’âge de seize ou dix-sept ans, de la force d’un bon élève de seconde : ils en sortent au bout de trois ou quatre ans (ceux du moins qui ont suivi les cours jusqu’au bout) de la force d’un licencié ès-lettres ou ès-sciences, selon la voie qu’ils ont suivie. Travaille qui veut; mais comme aux États-Unis le nombre de ceux qui poussent aussi loin leur éducation intellectuelle est assez restreint, tous travaillent plus ou moins, sans quoi ils ne viendraient pas à l’université. Liberté