Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/735

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rigidité, calme ineffable, mélancolie, frénésie, douleur atroce, — lassitude. La Mort dicte le thème et l’artiste s’ingénie en variations plus effroyables les unes que les autres, sombres détails où l’ironie se mêle. La faux, si prompte à coucher bas les hauts épis, épargne les infimes, de la moisson seront exclus les misérables. désespoir! le tranchant les a dédaignés. Aussi comme ils tendent leurs mains vers le fantôme qui les oublie, tous ces pauvres diables d’aveugles, de besaciers, de béquillards et de paralytiques! Comme ils l’assourdissent de leurs regrets, et de leurs appels, comme ils l’importunent de leurs naïves et touchantes supplications ! Les corps sont à peine abattus que les âmes s’en échappent sous forme d’enfans nouveau-nés, et que les anges et les démons s’empressent pour les recevoir. Une religieuse que Satan capture trahit son étonnement; la pauvrette évidemment s’attendait à meilleur accueil. Les anges s’envolent vers l’azur céleste emportant les âmes des bienheureux, tandis que les diables à figures de lions, de boucs et de sauterelles fantastiques précipitent les damnés dans un gouffre. Ici nous retrouvons le symbolisme dantesque aidant à la peinture des péchés capitaux. Un gros moine, dont la dépouille gît parmi les cadavres, s’est dédoublé et son âme flotte dans l’air également pansue, repue et même tonsurée, un Gorenflot sans pesanteur, un ressuscité en baudruche, et dire qu’un ange et qu’un démon se disputent cette conquête! L’un a saisi la tête, l’autre se cramponne aux pieds, l’infortuné moine tourne vers l’ange des regards pleins d’angoisse : faisons des vœux pour que l’ange ait le dessus. Disputes et protestations humoristiques qui vous rappellent maints épisodes grotesques de la Divine Comédie : tantôt un ange remontant à vide, et, du bout de son bâton en croix fouaillant un démon qui s’en retourne également bredouille, tantôt un démon, qui, plus heureux, s’enfuit, une belle femme dans ses griffes, et lance un regard de haine triomphante sur l’ange auquel il vient de la ravir. — Cependant, de l’autre côté de la montagne de feu, se déroule à votre gauche le second acte, et le vieil Orcagna vous montre à sa manière comment trois grands rois qui s’en allaient joyeusement par la vie rencontrèrent sur leur chemin trois grands monarques trépassés, dont l’aspect leur inspira de bien formidables réflexions sur le néant de la puissance et de la gloire humaines. En quoi le maître a fait œuvre de génie, c’est dans sa mise en scène de l’idée. Les trois rois sont en chasse avec leur cour : dames, seigneurs, pages, varlets, faucons et meute, une splendide et tapageuse cavalcade; mais ne leur envions point leur journée, car les voilà qui buttent au creux d’un vallon contre trois cercueils béants et se heurtent nez à nez avec trois cadavres en divers états de décomposition et dont l’un est