Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/729

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Delacroix la mit en peinture, et la Liberté sur les barricades de Juillet, qui parut au salon de 1831, consacra son apothéose. La Popularité, l’Idole, suivirent de près la Curée. Je range à part ces trois poèmes, dont l’esprit et la forme se ressemblent d’ailleurs singulièrement. Placez-vous devant le triptyque, vous avez en substance tout Barbier.

L’Idole, pour l’audace et la nouveauté du point de vue, mérite que l’on s’y arrête : s’attaquer à la légende napoléonienne en dépit de la note dominante, songez donc un peu quel scandale ! Mais Barbier, avec son tempérament de patriote, n’était pas homme à s’effrayer du paradoxe, et ni les chansons de Béranger, ni les Messéniennes de Casimir Delavigne, ni les jeunes odes de Victor Hugo écrites sur le vieux poncif ne prévalurent. Le Corse à cheveux plats reçut à son tour la volée de bois vert, et le public trouva la sentence bien appliquée. Barbier n’était pourtant pas le premier en date ; avant lui, deux génies de nature fort diverse, Paul-Louis Courier d’abord, puis Lamartine, avaient entrepris l’exécution.


Et toujours en passant la vague vengeresse
Lui jetait le nom de Condé,


avait dit le chantre des Méditations succédant au vigneron tourangeau, de qui la prose rude et solide, avoisinant le vers de Barbier, pourrait bien avoir donné la réplique à l’Idole : « Cette nation est lâche ; ce ne sont plus des Français, la terreur de l’Europe, l’admiration du monde ; ils furent grands, fiers, généreux, mais domptés aujourd’hui, abattus, mutilés, bistournés par Napoléon, ils se laissent ferrer et monter à tout venant. » Paul-Louis Courier, Lamartine, est-ce le seul hasard qui rapproche ces noms sous ma plume, et Barbier ne procéderait-il pas à la fois des deux ? Considérez ce talent qui, d’un côté, par son âpre loyauté, son grand bon sens, sa rectitude et son ferme propos, touche à la prose, et de l’autre, tend au lyrisme ; fondez ses qualités et ses aspirations dans une atmosphère où gronde encore la canonnade de juillet, où l’océan de Géricault mêle ses tempêtes aux rugissemens des fauves de Barye, et dites si de cet amalgame de réalisme et d’idéalisme, de républicanisme et de christianisme, ne sortira pas quelque chose de pareil à cette couronne royale émergeant de la chaudière des sorcières de Macbeth, quelque chose d’horrible dans le beau, de beau dans l’horrible, qui vous fera penser à la Curée, à la Popularité, à l’Idole ?

On sait comment, grâce à l’entremise amicale d’Alphonse Royer, la publication de la Curée échut à la Revue de Paris. Véron, alors directeur, hésitait, et ce fut Henri de Latouche qui le décida