l’examiner comme un moderne, nous risquerions d’éprouver maint désappointement. Que de choses conquises pendant ces trente dernières années, que de raretés, de découvertes dans la technique du vers et qui ne sont point dans ces ïambes forgés à tour de bras sur l’enclume de Vulcain, mais que nul fin ciseau d’artiste n’a dégagés de leurs bavures ! Une langue vigoureuse, puissante et fière, mais fouettée, surmenée, trop haut montée à l’effet pour s’y établir à demeure et s’affaissant par momens, se dégonflant comme un ballon qui crève, un style fourmillant de répétitions, d’inversions, de mauvaises rimes, une monotonie accablante dans l’expression, les mêmes images, les mêmes tours imperturbablement reproduits :
C’est que la liberté n’est pas une comtesse...
La popularité, c’est la grande impudique...
Le peuple de Paris, c’est le pâle voyou...
Passez ! le peuple c’est la fille de taverne...
C’est la mer, c’est la mer aux premiers feux du jour.
Des tendances de l’heure présente et de ses ressources, des curiosités de la muse nouvelle et de ses trouvailles, aucune trace, rien
de ces frissonnemens d’aurore, de ces pollens sonores et scintillans dont l’atmosphère poétique était alors si universellement saturée. Aurions-nous affaire à un classique? Oui et non : la poétique
de Barbier est d’un romantique, mais sa poésie est d’un classique.
Voltaire a dit : « Notre langue est une gueuse fière, il faut lui faire
l’aumône malgré elle. » Barbier abuse du précepte, sa prodigalité
dans ce genre, ne connaît pas de bornes; de là ces trivialités voulues, ces mots cyniques semés de parti-pris dans un discours d’ailleurs plein de sagesse et de bon sens bourgeois, et qui souvent
font tache au lieu de s’y mêler et de le teindre de leur pourpre
fangeuse. C’est que, probablement aussi, les Marseillaises ne s’exécutent pas simplement avec de l’art. L’auteur de la Curée n’est ni
un classique, ni un romantique ; c’est l’homme d’un premier mouvement, d’un seul peut-être, mais sublime ; là sera sa force et son
néant, car cet homme, hier ignoré encore de tous et que demain
tous oublieront, aura, pendant une heure prédestinée, senti battre
dans sa poitrine le cœur d’un peuple, et le cri de ce moment d’insolation vivra, lui survivra dans toutes les mémoires, même les plus
étrangères et les plus réfractaires aux choses de littérature et d’art.
Auguste Barbier nous explique Rouget de l’Isle, et tous les deux
nous font comprendre les grands anonymes des chansons de gestes.
La désillusion qui déjà gagnait tous les cœurs avait trouvé son interprète, le succès fut immédiat, énorme, une traînée de poudre. Cette pièce de vers n’eut pas seulement la vogue, elle eut l’honneur.