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la révolution de 1830, à la fondation de la monarchie belge, à l’élection du prince sage et avisé qui fut le roi Léopold Ier. Il avait été plusieurs fois le ministre de la jeune royauté dont il a raconté l’avènement dans un Essai historique sur la révolution belge de 1830. Depuis 1845, il a représenté à peu près sans interruption la Belgique à Berlin, où il est mort au mois de septembre 1881. Pendant trente-six ans, il est resté le diplomate invariable de la monarchie belge à ce poste fixe de Berlin, au milieu des révolutions, des guerres, des bouleversemens d’où est sorti l’empire d’Allemagne. C’est là sa vraie carrière, c’est ce qu’on peut appeler son originalité. Comme personnage parlementaire, M. Nothomb avait sans doute montré des dons brillans. Comme diplomate, c’était un homme d’esprit, prodiguant aisément les souvenirs et les anecdotes, aimant les conversations ingénieuses, alliant le goût des lettres à l’expérience des affaires. Il a pu passer pour un de ces diplomates de pays neutres placés par les circonstances dans un poste d’observation d’où ils peuvent suivre en curieux, en amateurs, tous les mouvemens de la politique sans se trouver compromis dans l’action. M. le baron Nothomb peut donc mériter tout ce qu’on dit de la vivacité de son intelligence, de l’aménité de son caractère et de l’attrait de sa conversation. Malheureusement, ce que M. Juste cite de lui ne prouve assez ni la clairvoyance indépendante d’un esprit supérieur ni le sentiment élevé des conditions générales de la politique européenne, et, de plus, il est trop clair qu’un long séjour en Allemagne avait eu son influence sur le représentant d’un pays neutre.

Le mal, il est vrai, datait de loin chez M. Nothomb, et c’est tout au plus à ses yeux si la France de 1830 n’avait pas employé ses armes et sa diplomatie à empêcher la Belgique de naître. C’est bien la peine que, depuis un demi-siècle, tous les libéraux de France se soient fait un devoir de défendre l’indépendance de la Belgique pour qu’un représentant officiel de cette Belgique même se plaise à travestir tout ce que la France libérale a fait, tout ce qu’elle a pensé! L’auteur des Souvenirs considère comme des « documens historiques » du plus haut intérêt quelques lettres tout intimes que M. le ministre de Belgique à Berlin écrivait aux jours de 1870-1871 à une personne qui lui était chère et qui se trouvait dans une maison religieuse à Paris. Soit. Ces lettres sont, dans tous les cas, l’expression du plus impitoyable ou du plus frivole sentiment d’antipathie, et pour un homme d’esprit, M. le baron Nothomb a vraiment des aperçus singuliers assez naïfs. Il découvre que, si les Allemands sont réduits à procéder par le fer et le feu contre la capitale française, « à s’ouvrir un large passage jusqu’au cœur de Paris au moyen du canon, » la faute en est « à ceux qui ont fait de Paris une ville fortifiée. » Si Paris était resté une ville ouverte il n’aurait pas été assiégé ; il aurait été occupé sans plus de difficulté par les Allemands, et tout aurait été dit. Qu’on se rassure