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bras en criant : « Ma belle-mère!.. » L’autre aurait répondu : « Ma bru! » Il faut que cette petite fille fût déjà un peu folle pour ne pas s’être avisée de ce dénoûment; ou plutôt, je vous le dis tout bas, il faut que M. Becque n’ait pas de cœur. Comme c’était simple pourtant! Il n’y avait plus besoin de sifflets.

Aussi bien ce n’est pas seulement par la noirceur de son dénoûment que M. Becque a péché contre la dramaturgie contemporaine. Il s’est contenté, le malheureux ! d’imaginer des caractères et de les faire s’exprimer avec une merveilleuse propriété de style; c’est un mérite qui, pour le public, est bien près d’être un tort, — les personnages étant bourgeois, et le style bourgeois, par toute une pièce, n’étant pas avantageux : à la longue, on préférerait quelque impropriété qui réveillât, quelque fantaisie de dialogue, quelques bons mots d’auteur. Mais le pis encore est que l’action, comme le style, est régie par les caractères; leur logique mène le drame, sans aucun agrément d’intrigue; pas de péripétie amusante, pas d’imbroglio pathétique. L’aberration de l’auteur était allée jusque-là qu’après le consentement de Marie au mariage avec Teissier, il avait placé encore une scène entre elle et un fournisseur : le fournisseur était insolent, il élevait la voix et presque la main; Teissier rentrait et le mettait à la porte. Et la toile tombait là-dessus. Le scène était originale, sobre et saisissante. Elle renfermait la conclusion logique de l’ouvrage, et la renfermait en action; elle justifiait sans phrase ce mariage pénible et nécessaire : l’homme rentré dans la maison, les corbeaux en sortaient. Mais cette scène prolongeait la pièce au-delà du dénoûment connu, elle la terminait sans que les principaux personnages fussent rassemblés, sans que le public fût averti, comme par trois coups frappés dans la coulisse, qu’elle allait la terminer. On a coupé cette scène après la répétition générale ; maintenant, pour la retrouver, il faut la chercher dans la brochure. On n’a pu faire que cette pièce ne fût originale jusqu’à la fin ; au moins a-t-on obtenu, par cette coupure in extremis, qu’elle finît à peu près comme beaucoup d’autres.

Ai-je passé en revue toutes les chances qu’avait cette comédie de déplaire? Ai-je, au cours de cette revue, indiqué tous ses mérites? Je ne prétends pas que, jugée en conscience, et comme œuvre d’art seulement, elle soit exempte de défauts; je relève au premier acte quelques détails d’un comique un peu lourd, du deuxième au troisième une contradiction dans le caractère de Marie. D’autre part, je crois que l’auteur, sans se manquer à lui-même, aurait pu ménager quelque succès à son œuvre; sans estropier ses caractères, sans les emmaillotter d’une intrigue, sans les faire fléchir vers une fin mensongère, il aurait pu donner au public plus de facilités de les apprécier; il aurait pu mettre plus d’air et de lumière dans cette pièce un peu dense, la