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et ses filles ont du chagrin pendant trois actes, et le public n’aime pas le chagrin. Si encore il y avait un acte en deuil, un en demi-deuil et, dans le troisième, le deuil rompu par un mariage et des toilettes de sacristie! Mais non ! c’est toute une pièce en grand deuil, et le public crierait volontiers aux comédiens: Quand on est en deuil, on reste chez soi ! Si d’ailleurs, il n’aime pas le chagrin, il aime encore moins les questions de chicane et moins encore, s’il est possible, les questions d’argent. Il n’est sensible en pareille matière qu’au résultat et le réclame conforme à ses vœux; il attend la fin et se désintéresse des moyens, mais demande seulement qu’ils soient courts. Peu lui importe qu’on cite l’article 815 du code ou l’article 2007, ou qu’on cite l’un pour l’autre, pourvu qu’on n’en cite qu’un seul, et que celui-là, authentique ou non, soit dans l’intrigue un ressort docile à son désir. Commence-t-on sur la scène un calcul financier, il se distrait de l’opération jusqu’à l’annonce du résultat. Que si d’aventure un spectateur suit avec attention la marche des choses, ce n’est pas, soyez-en sûr, pour goûter un plaisir dramatique, mais pour chercher querelle à l’auteur sur quelque point de jurisprudence et de procédure, ou sur le choix de quelque facteur qui rendrait toute l’opération fausse. Tel ou tel, dans son fauteuil, paraît prendre à ces Corbeaux plus d’intérêt que son voisin : c’est pour reprocher à M. Becque d’avoir oublié volontairement que des mineurs sont toujours protégés par un conseil de famille, et que dans la dissolution d’une société ou dans une vente les deux parties ne peuvent être représentées par un même notaire : ainsi, de mauvaise foi, l’auteur néglige et méconnaît les garanties que la loi donne aux faibles; il calomnie la société ! A quoi M. Becque peut répondre qu’il ne calomnie personne; que son notaire, au deuxième acte, fait allusion à la réunion nécessaire et prochaine d’un conseil de famille; qu’il a le droit de faire tenir toute sa pièce entre la mort du père et la désignation de ce conseil ; qu’au jour de la dissolution et de la vente, pour procéder à l’acte, Me Bourdan serait obligé d’appeler un collègue qui représenterait ou la succession Vigneron ou Teissier, mais qu’il peut attendre, pour le faire appeler, détenir cette succession dans sa nasse, et que la pièce peut justement finir là.

Mais à quoi bon ces excuses? Le public s’en moque bien : il se moque des griefs! Allez voir s’il écoute les jurisconsultes de la critique lorsqu’ils réforment le dénoûment d’Héloïse Paranquet! Ce dénoûment le satisfait, parce qu’il supprime par un coup de la loi un fripon qui, justement, a failli triompher par la loi. Tant pis si l’on proteste que c’est par un coup d’une loi qui n’existe pas ou qui n’a pas de telles conséquences! Le public a son plaisir et ne le cède pas pour si peu. M. Dumas le savait bien : il connaît le code comme un critique! Mais il connaît aussi le public, et le tient tout juste dans l’estime où l’auteur avisé