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Après un dernier adieu, où les fusils retentirent encore, Djilali, prenant la tête de la caravane, se mit en marche vers les ksours de l’oasis natale.

On marcha toute la nuit. Le lendemain, au petit jour, on fit halte près de certains puits qui se trouvent à quelques lieues d’Ouargla. Ces puits sont ombragés par une vingtaine de palmiers. Des lentisques et des jujubiers sauvages végètent tout autour.

En quelques minutes, les tentes furent plantées. Les chameaux dociles s’accroupirent pour permettre à leurs conducteurs de décharger les fardeaux. Vite on alluma les fourneaux, sur lesquels les femmes placèrent les ustensiles de cuisine où devaient cuire et le couscoussou et les viandes destinées à en relever le goût.

Le festin commença. La part des femmes fut servie dans d’énormes plateaux de bois et portée sous les tentes où s’abritaient Nefissa et ses suivantes. Quant aux hommes, ils mangèrent en plein air avec un appétit qu’avaient aiguisé la marche et la brise du matin.

Soudain un grand cri suivi immédiatement de clameurs perçantes retentit du côté où se tenaient les femmes. Sous les yeux de l’assistance interdite, à la face du soleil, un homme caché au plus épais des lentisques s’était élancé sur Néfissa, l’avait emportée dans ses bras, puis, plus rapide que l’éclair, se dirigeant vers un cheval tout harnaché, le ravisseur y avait déposé la jeune épouse et s’était enfui avec elle, — lui, presque debout sur la monture affolée, elle, Néfissa, sous ses pieds, évanouie en travers de la selle.

— C’est moi, Mabrouck, qui la prends ! cria le Mozabite en passant devant Djilali.

Celui-ci, la rage dans les yeux, le blasphème à la bouche, bondit jusqu’à l’endroit où était sa jument. C’était trop tard, Mabrouck et Néfissa étaient déjà loin. Djilali suivit longtemps leurs traces sans pouvoir les atteindre. Ses compagnons l’accompagnèrent dans cette chasse nouvelle, mais la poursuite fut vaine.

Le soir même, à une lieue en avant d’Ouargla, la caravane rencontra le corps mutilé d’une femme; un coup de flissa lui avait percé le sein, un autre lui avait déchiré le visage. Mabrouck, le prétendant méprisé, s’était vengé de la femme parjure en la tuant.

Depuis cet événement, on n’entendit plus parler du Mozabite. Chose étrange, les tourterelles de Mélissa volèrent longtemps au-dessus de l’endroit du crime, et, encore de nos jours, lorsque les caravanes passent dans ces parages sinistres, le guide ne manque pas de vous dire : « Cherchez dans les nues et regardez si les oiseaux bleus s’y trouvent. »


CHARLES DAUBIGE.