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Si elle eût voulu encore cent têtes de Touaregs pillards, le désert eût été, pour elle, fouillé en tous sens et, à cette heure, les habitans de l’oasis contempleraient, réunis en un tas lugubre, cent bruns visages des fils des sables. Si, désireuse des richesses d’un sultan, elle avait dit : « J’appartiendrai à celui qui brodera la tente nuptiale de perles fines et de corail » tous seraient partis, les uns vers Fez, l’industrieuse cité, les autres, vers Alger, la ville fastueuse, et c’est à qui, dévalisant les juifs, achetant aux chrétiens, eût apporté le plus de diamans pour en orner l’asile mystérieux où Néfissa se donnerait à son heureux époux.

Mais non, cette noble fille ne veut rien de ce qu’il est possible de faire. Néfissa ne ressemble pas aux autres femmes; son esprit est aussi étranger aux choses vulgaires que la gazelle l’est à la servitude à laquelle elle ne peut se plier.

L’expédition tentée dans les montagnes du Djebel-Amour et l’insuccès des cavaliers iut le sujet de toutes les conversations. Les femmes commentèrent très malignement les bizarres idées de Néfissa, les hommes en parlèrent sans qu’aucune critique se mêlât à leur dépit inavoué. Quelques-uns, les sages ou les désillusionnés, prétendirent même qu’ils trouvaient la fille de Kouïder bien modérée en ses désirs, que les femmes étaient généralement bien plus exigeantes, exemple : la fille du grand chef du Touât, qui avait demandé récemment, par l’entremise de son père, que son fiancé lui envoyât, en plus de trente esclaves, douze guessââ[1] d’or massif! Pour eux, c’était s’en tirer à bon marché que d’apporter simplement, pour cadeau de fiançailles, un mauvais oiseau et une fleur commune.

Quelque temps après, alors que le vénérable Kouïder était sollicité plus que jamais au sujet de Néfissa, un étranger, arrivé la veille dans l’oasis, demanda à lui parler. Cet étranger, jeune d’ailleurs, était pauvrement vêtu ; il arrivait du nord et allait dans la direction opposée, sans but, au caprice de sa volonté; c’est en ces termes qu’il avait répondu aux premières personnes qui l’avaient interrogé. Dès qu’il se trouva en la présence du chef de la djammah, il lui dit brièvement qu’ayant entendu parler du désir de sa fille et de l’insuccès des prétendans, il venait, lui, annoncer à Kouïder et à tous les hommes de Mettili qu’il avait trouvé la fleur inconnue et les oiseaux charmans, objet des convoitises de sa fille.

— Dis-tu vrai? dit le vieillard.

— Aussi vrai que j’ai escaladé les roches inaccessibles et bravé le bec des aigles. La rose jaune fleurit en pleine neige, et c’est le soleil qui l’a dorée; la tourterelle bleue se baigne dans les nuages et ses

  1. Plats à couscoussou.