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LE MOZABITE


I.

C’est la fantasia. L’oasis est en fête. Les cavaliers de Mettili ont revêtu leurs vêtemens de parade. La poudre parle, les chevaux hennissent, les étendards verts et rouges flottent dans le soleil à travers une poussière pailletée d’or. Aux you you des femmes se mêlent les appels belliqueux des cavaliers. Par instans, la derbouka jette, dans ce concert de voix confuses, ses notes bondissantes, que les flûtes aiguës accompagnent bruyamment. Tout est joie, tumulte, enivrement. Couleurs éclatantes, groupes rapides, et le coursier qu’on presse et celui qui se cabre, tout cela passe et repasse dans l’air enflammé, comme les tableaux mobiles d’une gigantesque lanterne magique.

Sur la gauche du terrain choisi pour la fantasia, le chef de la djammah[1] de Mettili, Kouïder-ben-Atar avait dressé ses tentes. Assis devant la plus belle, attentif à l’action, il se tournait, par momens, derrière lui, comme pour tenir au courant un personnage invisible des mille péripéties de la fête guerrière. Une draperie blanche de fine laine séparait la partie de la tente où se trouvait le chef de celle où s’abritait l’interlocuteur mystérieux. On entendait à travers le tissu léger une voix de femme et cette voix disait:

— Oui, mon père, c’est très beau, l’audace, l’ardeur, la lutte et les jeunes hommes qui courent si hardiment, la flissa aux dents!

— C’est vrai, répondait le vieillard enthousiasmé, et les nôtres sont toujours les plus braves. Voici Belkassem, le fils du caïd, voici Milthob, le plus jeune de tes cousins, et Ali, appelé le bras puissant, et Ahmed, dont la monture paraît voler dans l’espace !

  1. Assemblée de notables.