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Ce que je dis là de Philadelphie et de ses habitans est vrai; il n’y a pas un mot qui ne soit vrai. »

Qu’il n’y ait pas un mot qui ne soit vrai dans les paroles que je viens de citer, je suis très loin d’en douter, car partout où l’on a su procurer aux ouvriers pour un prix abordable une habitation décente, l’effet sur leur moralité et leur bien-être s’est fait immédiatement sentir. Mais d’autres choses sont vraies également, dont l’orateur en question n’avait dans la circonstance nulle raison de parler, et qui sont un peu le revers de la médaille. Voici, en effet, ce que je lis dans un article publié à Philadelphie qui m’a été récemment envoyé et qui a pour titre la Misère à Paris: « Sous beaucoup de rapports, nous avons beaucoup à apprendre de ces grandes villes du vieux monde. L’absence complète de toute assistance accordée à ceux que le malheur ou même le vice réduit à n’avoir d’autre ressource que le vol est une honte criante (a crying shame) au milieu du bien-être général et de la richesse de notre ville. L’existence de rues malsaines, de districts infects, d’ignobles logemens qui ne sont pas faits pour abriter des êtres humains est pour nous un déshonneur que parviennent seulement à diminuer les efforts faits par un petit noyau d’hommes pour convertir cette région en un groupe de maisons décentes. Les autorités municipales ne font rien ou font peu de chose pour assainir ces foyers de vices, de crime et de misère. Satisfaits que nous sommes par la pensée des logemens confortables que nous avons su assurer aux classes ouvrières, nous n’avons que trop de dispositions à passer légèrement sur les périls et sur les maux de toute sorte qu’engendre chez nous la pauvreté. Etudier cet état de choses, comme on le fait en ce moment à Paris, en rechercher les causes, en découvrir les remèdes, est une tâche qui est encore à entreprendre. »

Que tout soit vrai dans ces lignes, qu’il n’y ait pas un mot qui ne soit vrai, cela est bien probable également. Est-ce à dire cependant que ce soit chose inutile et sans profit moral que de procurer aux ouvriers des habitations décentes à un prix modéré? Non. Cela veut dire seulement qu’à Philadelphie comme ailleurs, il y a un stock de misères, causées sans doute par la débilité physique ou intellectuelle, la paresse, le vice, parfois tout simplement la mauvaise chance, que les institutions prévoyantes et philanthropiques ne peuvent atteindre, et que la charité seule peut secourir efficacement. Cela n’a rien de surprenant, pas plus qu’il n’est surprenant que dans un troupeau aussi nombreux (Philadelphie ne compte pas moins d’un million d’habitans) il y ait une certaine quantité de brebis galeuses au traitement desquelles il a fallu pourvoir. Aussi ai-je donné, le matin de notre départ, quelques heures hâtives à la visite du pénitencier pour les adultes et à celles des écoles de réforme