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Le Coran forme la hase de l’enseignement; lorsque l’enfant est suffisamment habile en langue arabe, il passe aux cours supérieurs (trois années), où on lui enseigne, en français ou en italien, la géographie, la grammaire et les sciences.

L’étranger se présente à la grande porte en fer à cheval, et à travers les salles aux carreaux peints, le gardien le conduit au sous-directeur du collège qui le lui fait visiter. L’ensemble en est très propre et fort bien tenu. Les salles de travail, les dortoirs et les réfectoires sont disposés autour d’une cour entourée d’un portique et d’une galerie; les murs sont blancs, les arcades sont cintrées à l’arabe avec des rayures blanches et noires. Nous allons d’abord à la troisième classe. Le professeur, Algérien d’origine et musulman, fait en très bon français un cours de géographie auquel il ajoute un peu d’histoire. C’est une addition récente au programme et encore on se contente de simples biographies, parce que l’histoire générale est pour les musulmans quelque chose de fort différent de ce qu’elle est pour nous, et les statuts ne prévoyaient pas qu’on l’enseignerait. La salle est blanche avec un pavé émaillé; le professeur a sa chaire comme en France, et les petits Tunisiens en chechia rouge et en bas blancs sont assis à des tables noires. Ou leur fait faire devant le visiteur des voyages géographiques en Europe, en Amérique, en Tunisie; ils connaissent jusqu’au détail des caps et des golfes; ils apprennent, comme chez nous, à tourner le cap Passaro et le cap Spartivento et à ne pas les confondre avec le cap Matapan.

Ils ont une bonne tenue et un bon air; ils plaisent par la promptitude de leurs réponses; plusieurs ont la figure fort intelligente; d’autres, des types bizarres où l’œil européen se perd, mais qui n’en sont pas moins de petits êtres fort instruits. Un d’eux se lève et récite l’histoire du sage Selon, mot à mot, sans se tromper, absolument comme chez nous. Leur prononciation du français est très bonne. A la classe voisine, qui est celle des plus habiles, un de nos compatriotes enseigne les mathématiques (algèbre, géométrie, etc.). On éprouve une grande surprise à voir dans ce collège musulman, dû à l’initiative tunisienne et qui il y a six ans n’existait pas, de petits Arabes au visage sombre démontrer au tableau, en français, nos théorèmes, établir nos formules, poser nos équations, en usant sans le moindre embarras de tous ces termes revêches et de cette langue difficile qui nous ont valu au collège tant d’heures de travail amer. Mais ces enfans ne sourcillent pas; ils exposent la théorie du carré de l’hypoténuse, expliquent les équations du second degré, extraient des racines carrées : tout cela est bien curieux. Le professeur parle vite, se fâche même, sans crainte de les effaroucher; ils se troublent comme les élèves de nos lycées, retrouvent le fil de leur démonstration et poursuivent. Déjà, l’année dernière, on a pu en envoyer