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nos compatriotes, remboursés à 500 francs, alors qu’en moyenne ils n’ont guère payé plus de 300 francs les titres dont ils sont porteurs.

Je sais bien que notre premier soin, quand nous nous substituerons à la commission financière devra être de diminuer les impôts écrasans qui pèsent sur les Arabes. Mais la diminution des recettes qui en résultera sera comblée et au-delà par les plus-values qu’amènera forcément, dans toutes les branches, l’augmentation des transactions commerciales et agricoles.. Cet accroissement se manifeste déjà et progressera promptement, grâce à l’introduction de l’élément européen dans tout le pays et à l’exploitation des concessions nouvelles (alfa, mines de fer, etc.).

Une réforme très importante aussi est celle de l’instruction publique. Tout ce que les Européens ont fait jusqu’ici, à ce point de vue, en Tunisie, notamment les écoles primaires de Tunis et le beau collège pour l’enseignement secondaire du cardinal Lavigerie à Carthage, a été pour les leurs ; mais aujourd’hui les Tunisiens sont devenus aussi un peu les nôtres, et nous avons le devoir de songer à eux. Ce sera d’ailleurs une tâche profitable : car c’est seulement en apprenant aux indigènes notre langue que nous pouvons espérer les attirer à nous et arracher ce qu’il reste de défiance dans leur cœur. Si ce moyen ne réussit pas, comme nous n’en avons pas d’autre, la cause sera jugée ; mais il faut du moins l’essayer. C’est un fait bien connu que notre religion n’a aucune prise sur eux et que les missionnaires ont toujours échoué dans leurs essais de les convertir. Il est beaucoup plus pratique de leur apprendre le français : en même temps que les mots se gravent dans leur mémoire, une foule d’idées se révèlent à eux qu’ils ne soupçonnaient pas, et leurs âmes fermées s’ouvrent à la fin.

Il ne semble pas que de grands résultats sur ce point doivent être très difficiles à obtenir. La race, on l’a déjà dit, est beaucoup moins batailleuse qu’en Algérie; elle est plus souple et approchera plus facilement de la civilisation; de tout temps, il n’y a eu qu’une opinion à cet égard : The people are more civilised here than in Algiers, écrivait Bruce sur son carnet de voyage, en 1763. Un haut dignitaire du conseil de gouvernement de l’Algérie, qui connaît bien la régence, faisait devant moi la même remarque, il y a peu de temps. A l’époque actuelle, les musulmans de Tunis, livrés à eux-mêmes, sont déjà arrivés à des résultats surprenans. Lorsque le célèbre Moustapha Khaznadar, après trente années de ministère, fut enfin renversé par le représentant de la France, Khereddine consacra les millions qu’on avait contraint le vaincu de restituer à fonder un collège appelé collège Sadiki. Il est établi dans une des ruelles qui montent de la Marine au Dar-el-Bey et renferme cent cinquante élèves, tous musulmans, qui sont instruits et nourris gratuitement.